Pourquoi Zachée veut-il voir Jésus ? Qu'est-ce qu'un publicain dans la Bible ? Que raconte l'histoire de Zachée à Jéricho ? Alors, Jésus et l'argent ?
Dans leur morceau intitulé Jesus Is Just Alright With Me sorti en 1972, dans le style country rock caractéristique des Doobie Brothers, le groupe californien chante :
I don't care what they may say, [...] Jesus is just alright with me !
Traduction française : Je me fiche de ce qu'ils peuvent dire, Jésus est juste bien avec moi !
Or, cette phrase correspond typiquement à ce que l'on pourrait parfaitement mettre dans la bouche d'un personnage biblique comme Zachée, qui ne craint pas de braver le ridicule pour rencontrer Jésus. On vous explique pourquoi dans l'éclairage !
Jésus entame sa vie publique en Galilée. Il monte ensuite vers Jérusalem. C'est sur le chemin en direction de Jérusalem, vers la Passion, que Jésus passe par Jéricho et rencontre Zachée.
Entré dans Jéricho, ils traversèrent la ville. Et voici un homme appelé du nom de Zachée. C’était un chef de publicains, et il était riche. Et il cherchait à voir qui était Jésus, mais il ne le pouvait pas à cause de la foule, car il était petit de taille. Il courut donc en avant et monta sur un sycomore pour voir Jésus, qui devait passer par là.
Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et lui dit :
— Zachée, descends vite, car il me faut aujourd'hui demeurer chez toi.
Et vite il descendit et le reçut avec joie. Ce que voyant, tous murmuraient et disaient :
— Il est allé loger chez un homme pécheur !
Mais Zachée, debout, dit au Seigneur :
— Voici, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai extorqué quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple.
Et Jésus lui dit :
— Aujourd'hui le salut est arrivé pour cette maison, parce que lui aussi est un fils d’Abraham. Car le fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.
Ce fameux passage biblique met en scène le singulier personnage de Zachée, que l’Évangile ne relate qu’à cet endroit. Mais qui est vraiment ce Zachée ?
Tout d’abord, le nom de Zachée résonne de manière très ironique dans ce récit car le sens possible de ce nom est assez surprenant. En effet, l'origine de ce nom vient de l'hébreu zâkâh, et signifie « innocent », ce qui est bien moqueur pour… un collecteur d’impôt véreux !
Par ailleurs, le texte grec le désigne très littéralement comme un « archi-publicain ». Or, le terme en question (architelônès) constitue un hapax, c'est-à-dire un mot qui n’apparaît qu’une seule fois dans toute la Bible.
« Et voici un homme appelé du nom de Zachée ; c’était un archi-publicain, et il était riche. Et il cherchait à voir qui était Jésus, mais il ne le pouvait pas à cause de la foule, car il était petit de taille. » (Lc 19, 2-3)
Zachée, incapable de voir Jésus à cause de sa petite taille, est donc présenté comme un homme de pouvoir avec des titres ronflants.
« C’était un chef de publicains, et il était riche. » (Lc 19, 2)
Dernier point pour parachever le tout : Zachée est collecteur d’impôt et s’enrichit à ce titre. Cela signifie donc :
Zachée prélevait plus que ce que demandait le pouvoir romain et gardait le surplus pour lui-même. En ce sens, il est pire que l'occupant. Zachée pratique donc un métier infâme. Bref, pour le dire très simplement, Zachée est blindé de thune grâce à des opérations de détournement de fonds publics.
Mais Zachée, debout, dit au Seigneur :
— Voici, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai extorqué quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple.
Voyant Jésus, Zachée confesse son péché et propose une réparation. En réponse à cette conversion inattendue, Jésus résume cette œuvre de salut dans le cœur de Zachée par ses mots :
« Aujourd'hui le salut est arrivé pour cette maison » (Lc 19, 9)
Cette scène dévoile aussi que l’argent n’est pas un mal en soi.
Père de l’Église au IIe siècle, Clément d’Alexandrie souligne la délicatesse de l’appel de Jésus, qui, ici, ne demande pas un rejet des richesses, mais bien une conversion, un changement :
« Hôte de Zachée, de Lévi et de Matthieu, qui étaient de riches publicains, [Jésus] lui-même ne leur demande pas de renoncer à leur argent, mais il les invite à en user justement et non injustement, en annonçant : "Aujourd'hui, cette maison est sauvée". »
Clément d'Alexandrie, Quel riche sera sauvé ? 13,5. Traduction Patrick Descourtieux ; SC 537, Paris, Cerf, 2011.
L’histoire de Zachée, c’est d’abord l’histoire d’un désir et d’une rencontre. En effet, l’évangéliste dit très simplement (Lc 19, 3) :
« Il cherchait à voir qui était Jésus »
C’est dans le creux de cette phrase que se joue le basculement dans l’itinéraire personnel de Zachée. Il veut voir Jésus. Il cherche à le voir.
Et pour voir Jésus, Zachée brave le ridicule : il court et grimpe dans un arbre. Imaginez un peu l'étonnement de la foule voyant le richissime et véreux directeur du fisc en train de monter sur un arbre !
Pourtant, c’est dans ce désir de voir, et d’être vu par Dieu, que Zachée trouve la raison de sa conversion. Et tout se passe en un regard et une parole :
« Jésus leva les yeux, et lui dit : "Descends vite, car il me faut aujourd'hui demeurer chez toi ! " Et vite il descendit et le reçut avec joie. » (Lc 19, 5-6)
Jésus non plus ne craint pas les rumeurs et les racontars de la foule : il fait honneur à l'invitation de Zachée et vient partager le repas avec lui.
Pour finir en beauté, concluons en poésie avec les mots de Jean-Pierre Lemaire, qui adopte le point de vue de Zachée lorsqu'il s'adresse à Jésus.
Tu n’as même pas frappé à la porte
(dans l’arbre, d’ailleurs, il n’y a pas de porte,
ou il y en a mille, et autant de fenêtres).
Tu as levé les yeux seulement, tu as dit :
« Descends vite. » Alors j’ai ouvert la maison
et les gens affluent autour de la table.
Les uns sont contents, les autres récriminent
mais moi, je suis bien, mon cœur a changé,
et toi, tu souris parmi les convives.
Jean-Pierre Lemaire, « Zachée », Le pays derrière les larmes, Paris, NRF, 2016.