Pourquoi les Juifs portent-ils une kippa sur la tête ? D’où vient cet usage vestimentaire : est-ce un commandement ou une tradition ? Qu’est-ce que cela signifie ?
La semaine dernière, nous avons présenté et analysé l’importance du Shema Israël dans la tradition juive. En réponse, nous avons reçu de nombreux messages et l’un d’entre eux était une question toute simple :
« Merci pour la newsletter de ce jour ! En la lisant, je me suis posé d’autres questions que je me permets de vous partager telles quelles. Le fait de porter la kippa est-il aussi un commandement du même genre ? Plus généralement, quelle est l’origine des prescriptions vestimentaires dans le judaïsme ? »
Bon, pour répondre à la question de Jérémie, on a donc un peu bousculé notre agenda pour faire paraître ce numéro… comme une réponse !
Et comment ne pas introduire notre sujet du jour avec le film Coco et sa célèbre Kippa Cabana ?
Ce passage du Livre du Deutéronome survient juste après le récit du don de la Torah que Moïse reçoit en haut de la montagne du Sinaï. Il s’agit d’un passage biblique archi-célèbre dans la tradition juive, comme on l’expliquait la semaine dernière à propos du « Shema Israël ».
Écoute Israël, YHWH notre Dieu est seul YHWH : tu aimeras YHWH ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force ; et ces commandements que je te donne aujourd’hui seront dans ton cœur.
Tu les inculqueras à tes enfants et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras ; tu les attacheras sur ta main pour te servir de signe et ils seront comme un frontal entre tes yeux ; tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes.
Lorsque YHWH ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays qu’il a juré à tes pères Abraham, Isaac et Jacob, de te donner, [...] garde-toi d’oublier YHWH qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage !
Comme nous l’évoquions dans le numéro de la semaine dernière, certaines traditions vestimentaires propres au judaïsme remontent en fait à un commandement divin énoncé dans le Livre du Deutéronome. C’est ainsi que les phylactères (ou teffilim) ornent le front des juifs pieux et orthodoxes aujourd’hui encore. Mais qu’en est-il de la kippa ?
En fait, le port de la kippa (rien à voir avec Brest ou Toulon) n’est pas un commandement. Il n’est pas évoqué dans la Torah (ni dans la Bible hébraïque de manière générale), mais seulement dans le Talmud, c’est-à-dire dans les commentaires de la Torah (les Juifs parlent du Talmud comme la « Loi orale », en écho à la Loi écrite qu’est la Torah).
Vous pouvez donc lire et relire le passage biblique que nous vous présentons aujourd’hui… vous n’y trouverez pas la moindre allusion au fait de porter un petit bout de tissu sur la tête.
Pour commencer, un petit point de vocabulaire. L’étymologie du terme « kippa » vient de la racine hébraïque kaf qui signifie « paume », c’est-à-dire le creux de la main, comme un élément qui recouvre quelque chose de façon incurvée.
Symboliquement, elle signale que Dieu « a la main » sur celui qui porte ce couvre-chef. En ce sens, la kippa est un signe d’humilité.
Il est d’ailleurs amusant de remarquer que la kippa est un signe d’abaissement, tandis que, dans la tradition occidentale, le chapeau est bien plus un signe de noblesse et de prestige. Ainsi, pour le dire grossièrement :
Le port de la kippa n’est pas un commandement mais simplement une tradition, dont l’usage s’est largement répandu à partir de l’époque médiévale.
Ainsi, certains Juifs portent la kippa seulement pour les moments solennels (les prières à la synagogue par exemple). D’autres la portent en toutes circonstances.
En fait, le Talmud ne donne pas de prescription littérale à ce sujet. Traditionnellement, ce sont les hommes qui portent la kippa. Dans les communautés juives non-orthodoxes, certaines femmes le font aussi.
Rien n'interdit non plus la diversité des motifs et des couleurs, à l'image de certains modèles modernes arborant carrément l'oiseau d'Angry Birds ou les écussons des clubs de foot du FC Barcelone ou de Manchester United (tout en haut de la photo ci-dessous) !
Finalement, la kippa rappelle au juif pratiquant qu’il est petit, et que le seul véritable grand, c’est Dieu.
Par ce signe extérieur et matériel qui pèse sur le haut de leurs crânes, les Juifs sont ainsi ramenés à la conscience de leur humilité et de leur statut de créature sous la main du Créateur – Dieu.
Pour l’anecdote, dans le monde catholique, le pape porte également un couvre-chef. Mais il ne s’agit pas d’une kippa à proprement parler. Il s’agit d’une calotte – violette pour les évêques, rouge pour les cardinaux et blanche pour le pape.
Pour quel usage ? De façon bien plus triviale, il s'agissait historiquement d'un moyen vestimentaire pour simplement... couvrir et protéger du froid les crânes tonsurés !
Dans la tradition biblique, l’image de Dieu qui a tout façonné et créé « de sa main » est très fréquente. On la retrouve notamment dans le Livre de Job. La kippa est alors un signe qui fait écho à ces versets indiquant que Dieu a la main sur sa création, et que toute la création vient de lui.
« Mais interroge les bêtes et elles t’instruiront, les oiseaux du ciel et ils te diront. Ou bien parle à la terre et elle t’enseignera, les poissons de la mer te raconteront. Qui ne sait parmi tous ces êtres que la main de YHWH a fait cela, lui qui a dans sa main l’âme de tout ce qui vit et le souffle de toute chair humaine ? » (Jb 12, 7-10)
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