D’où vient la prière juive du Shema Israël et que signifie-t-elle ? Quelle est l’origine des tephillin et des mezouzah dans la tradition juive ?
Parmi les prières juives les plus connues, le Shema Israël figure assurément sur le podium, certainement primé de la médaille d'or au côté du Shalom Aleichem qui célèbre l'entrée en shabbat.
Ici interprété par l'artiste Yossi Azulay, le Shema Israël est « le » chant par excellence convoqué lors des prières juives.
Mais d'où vient-il et que signifie-t-il ? Réponse dans l'éclairage !
Ce texte du Livre du Deutéronome abrite l’une des prières juives les plus célèbres : le « Shema Israël ». Prophète par excellence, c’est-à-dire intermédiaire et porte-parole divin, Moïse parle ici au nom de Dieu. Il s’adresse au peuple hébreu.
Voici le commandement, les lois et les ordonnances que YHWH votre Dieu a ordonné de vous enseigner pour que vous les mettiez en pratique dans le pays où vous allez passer pour en prendre possession. [...]
Tu les écouteras, Israël, et tu auras soin de les mettre en pratique afin que tu sois heureux et que vous croissiez beaucoup comme te l’a dit YHWH le Dieu de tes pères dans un pays où coulent le lait et le miel !
Écoute Israël, YHWH notre Dieu est seul YHWH : tu aimeras YHWH ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force ; et ces commandements que je te donne aujourd’hui seront dans ton cœur.
Tu les inculqueras à tes enfants et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras ; tu les attacheras sur ta main pour te servir de signe et ils seront comme un frontal entre tes yeux ; tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes.
Lorsque YHWH ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays qu’il a juré à tes pères Abraham, Isaac et Jacob, de te donner, [...] garde-toi d’oublier YHWH qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage !
Dans ce passage, les paroles sortent de la bouche de Moïse, qui parle au nom de Dieu. Autrement dit : par l’intermédiaire de Moïse qui est son porte-parole, Dieu s’adresse au peuple hébreu.
Pour mieux saisir ce décret, il est bon de le re-situer dans l’histoire biblique et dans l’histoire d’Israël. Il s’agit du début du chapitre 6 du Deutéronome. Pour rappel, le Deutéronome – ou Devarim dans le judaïsme – est le dernier livre de la Torah (autrement dit le dernier des 5 livres qui composent ce que les Chrétiens appellent le Pentateuque).
Il s’agit donc du début de l’histoire biblique, juste après l’énonciation du Décalogue* au chapitre précédent (Dt 5). *Le Décalogue est un épisode biblique plus connu sous un autre nom : « les 10 commandements » reçus par Moïse au sommet de la montagne de l’Horeb.
Mais allons plus loin : à quel moment précis de l’histoire du peuple élu ce passage survient-il ? En fait, le texte nous indique cela explicitement :
« Voici le commandement, les lois et les ordonnances que YHWH votre Dieu a ordonné de vous enseigner pour que vous les mettiez en pratique dans le pays où vous allez passer pour en prendre possession » (Dt 6,1)
Il s’agit donc de préceptes et commandements divins adressés au peuple hébreu
Au cœur de ce passage, un petit verset résonne tout particulièrement. Il est parfois considéré comme une sorte de « profession de foi » pour le judaïsme, rappelant l’unicité de Dieu (il est Un) et son alliance avec le peuple hébreu (qui professe « notre Dieu »).
« Écoute Israël, YHWH notre Dieu est seul YHWH : tu aimeras YHWH ton Dieu de tout ton cœur de toute ton âme et de toute ta force et ces commandements que je te donne aujourd’hui seront dans ton cœur. » (Dt 6, 4-5)
En fait, l’expression « Écoute Israël » traduit deux mots hébreux : « Shema Israël ». Il s’agit d’une formule biblique fondamentale dans la tradition juive. Et pour mieux toucher du doigt cette importance, il faut se pencher sur le sens du mot « écouter », avec lequel nous autres contemporains ne sommes pas forcément familiers.
L’appel et le commandement de l’écoute est absolument capital. Le mot signifie plus que l'exercice passif de l'ouïe, et désigne une attitude humaine véritablement active.
D'ailleurs, shema se traduit aussi par « obéir ». Car au sens biblique du terme, écouter [shema] c’est obéir. Bref, loin d’une passivité béate, le terme shema contient déjà en soi les notions d’observance, d’application et de fidélité.
Lui-même juif et donc fidèle héritier de toute cette tradition, Jésus convoque cette notion de l’écoute véritablement attentive, à l’image de sa formule concluant l’exposé de la parabole du semeur : « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » (Mc 4,9)
Les versets 4 et 5 du chapitre 6 du Deutéronome sont donc à l’origine de l’une des prières juives les plus connues, récitées deux fois par jour (le matin au lever et le soir au coucher), comme l’indiquent les versets qui suivent :
« Tu les inculqueras à tes enfants et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras ; tu les attacheras sur ta main pour te servir de signe et ils seront comme un frontal entre tes yeux ; tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes. » (Dt 6, 7-9)
En l’occurrence, les commandements exposés dans ces trois versets nous permettent de comprendre deux traditions importantes du judaïsme (et au passage, on vous permet de découvrir ou redécouvrir deux mots de vocabulaire bien stylés).
Fidèles à nous-mêmes (on est PRIXM !) et au soin que nous mettons à révéler les liens indéfectibles qui unissent l’Ancien et le Nouveau Testament, on ne peut manquer de rappeler que Jésus était Juif.
Assumant sa culture et son identité juives, Jésus connaît l’importance de ces versets et de cette prière.
Plus encore, il rappelle même la primauté de ce commandement, comme l’indique ce passage de l’évangile de Marc, au cours duquel il répond à la question d’un scribe :
« Jésus lui répondit :
— Le premier de tous les commandements est : “Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme et de tout ton esprit et de toute ta force.” Voilà le premier commandement. » (Mc 12, 29-30)
Au moins c’est clair et il n’y a pas de doute… même chez le meilleur des rabbins du premier siècle : le commandement par excellence, c’est ça !
Ce passage du Deutéronome se termine par le commandement de l’enseignement et de la transmission : « Tu les inculqueras à tes enfants et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras » (Dt 6,7).
Survivant du camp de concentration d'Auschwitz, le juif italien Primo Levi a fait de cette mémoire un véhicule. Dans la préface du très célèbre Si c'est un homme, il reprend et détourne les mots du Shema Israël pour en faire une application particulière – assurer la mémoire de la Shoah, pour ne jamais oublier.
« N'oubliez pas que cela fut.
Non, ne l'oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur.
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant ;
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s'écroule »
Primo Levi (1919-1987), Si c'est un homme, Paris : Pocket, 1988