Dieu crée le monde… et c’est ennuyeux ?

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Découvrez comment Dieu créa le monde en 7 jours. En quoi le premier chapitre de la Bible est-il poétique ? Pourquoi est-il aussi répétitif ?

3 minutes et 43 secondes avec Michel-Ange, Le Tintoret, Brueghel l'Ancien et Marguerite Yourcenar
Dernière mise à jour -  
8/10/2024

Un petit rap québécois pour commencer Genèse 1

Pour qui écoute nos podcasts assidûment (ou dûment assis, ou même debout), ceci est une demi-découverte… Pour les autres, c’est une découverte complète — comme la galette.

Voici le morceau 7e Jour du rappeur québécois Loupin. Il interprète et met en musique Genèse 1 en reprenant presque mot pour mot les paroles du texte biblique. C’est très niche, mais nous on adore ! Et c’est une excellente manière d’introduire le texte que nous éclairons aujourd’hui !

Le texte biblique qui raconte la création du monde

Relisons le fameux texte de Genèse 1, premier chapitre du premier livre de la Bible. Pour vous faciliter la lecture, on a versifié le texte pour mettre en évidence sa dimension poétique et ses répétitions.

Au commencement Dieu créa les cieux et la terre.
Et la terre était informe et vide,
et la ténèbre était sur les faces de l’abîme,
et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des faces des eaux.

Et Dieu dit : 
— Que la lumière soit 
et la lumière fut.
Et Dieu vit la lumière : elle était bonne
et Dieu sépara la lumière et la ténèbre. 
Et Dieu appela la lumière « jour » et il appela la ténèbre « nuit ».
Et il y eut un soir, et il y eut un matin : jour un.

Et Dieu dit : 
— Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux.
Et Dieu fit le firmament
et il sépara les eaux qui sont au-dessous du firmament d’avec les eaux qui sont au-dessus du firmament
et il fut ainsi.
Et Dieu appela le firmament « cieux ».
Et il y eut un soir et il y eut un matin : deuxième jour.

Et Dieu dit : 
— Que les eaux [qui sont] au-dessous des cieux se rassemblent en un seul lieu et que paraisse le sec.
Et il fut ainsi.
Et Dieu appela le sec « terre » et il nomma le rassemblement des eaux « mers ».
Et Dieu vit que c’était bon.

Et il Dieu dit : 
— Que la terre fasse germer de la prairie, de l’herbe portant semence, l’arbre à fruit portant du fruit selon son espèce, ayant en soi sa semence, sur la terre.
Et il fut ainsi.
Et la terre fit sortir de la prairie, de l’herbe portant semence selon son espèce et des arbres portant du fruit et chacun portant sa semence selon son espèce.
Et Dieu vit que c’était bon.
Et il y eut un soir et il y eut un matin : troisième jour.

Et Dieu dit :
— Qu’il y ait des luminaires dans le firmament des cieux pour séparer le jour et la nuit et qu’ils soient des signes, [qu’ils marquent] les époques, les jours et les années et qu’ils soient des luminaires dans le firmament du ciel pour rayonner sur la terre.
Et il fut ainsi.
Et Dieu fit les deux grands luminaires : le plus grand luminaire pour présider au jour ; le plus petit luminaire pour présider à la nuit ; et les étoiles.
Et Dieu les plaça dans le firmament des cieux pour illuminer la terre et pour présider au jour et à la nuit et pour séparer la lumière et la ténèbre. 
Et Dieu vit que c’était bon.
Et il y eut un soir et il y eut un matin : quatrième jour.

Et Dieu dit : 
— Que les eaux frétillent de frétillement d’âme vivante et que l’oiseau vole sur la terre, sur les faces du firmament des cieux.
Et Dieu créa les grands animaux aquatiques et toute âme vivante qui se meut dont pullulèrent les eaux, selon leur espèce et tout volatile ailé selon son espèce. 
Et Dieu vit que c’était bon. 
Et Dieu les bénit, disant : 
— Fructifiez et multipliez et remplissez les eaux dans les mers et que les oiseaux multiplient sur la terre.
Et il y eut un soir, et il y eut un matin : cinquième jour.

Et Dieu dit :
— Que la terre fasse sortir l’âme vivante selon son espèce, la bête domestique, le reptile et l’animal de la terre selon son espèce.
Et il fut ainsi.
Et Dieu fit l’animal de la terre selon son espèce, la bête domestique selon son espèce et tout reptile de la terre selon son espèce. 
Et Dieu vit que c’était bon.

Et Dieu dit : 
— Faisons l’homme en notre image comme notre ressemblance
et qu’ils dominent sur le poisson de la mer et sur l’oiseau des cieux et sur la bête domestique et sur toute la terre et sur tout reptile qui rampe sur la terre.
Et Dieu créa l’homme en son image
dans l’image de Dieu il le créa
mâle et femelle il les créa.

Et Dieu les bénit et Dieu leur dit :
— Fructifiez, multipliez, remplissez la terre et soumettez-la et dominez sur le poisson de la mer, sur l’oiseau des cieux et sur tout animal qui se meut sur la terre.

Et Dieu dit :
— Voici que je vous donne toute herbe portant semence sur les faces de toute la terre et tout arbre ayant un fruit d’arbre portant semence, qu’ils soient votre nourriture.Et à tout animal de la terre et à tout oiseau des cieux et à tout ce qui se meut sur la terre ayant en soi une âme vivante, [je donne] toute herbe verte pour nourriture.  
Et il fut ainsi.

Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voici : c’était très bon.
Et il y eut un soir et un matin : sixième jour.

Livre de la Genèse, chapitre 1, versets 1 à 31. Traduit de l’hébreu par les équipes du programme de recherches La Bible en ses Traditions.

Poésie et répétitions : la Création du monde en Genèse 1

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Johann Melchior Bocksberger (1530-1587), La Création du monde, (XVIeme siècle, huile sur toile, 130 x 120 cm), Musée du Louvre, Paris (France). Domaine public

Un texte répétitif et minimaliste

En discutant avec des amis cet été, certains ont avoué très franchement qu’ils trouvaient ce chapitre ennuyeux. Et à la première lecture, il y a effectivement de quoi trouver ce chapitre ennuyeux — mais à la première lecture seulement ! 

Notre question est donc la suivante : pourquoi ressentons-nous ainsi un sentiment d’ennui ? On a trouvé quelques pistes de réponse (et c’est passionnant !) :

  • 1) On s’ennuie parce que c’est méga répétitif. En effet, tout ce chapitre est construit sur un modèle où la description de chaque jour est ponctuée de formules consacrées qui reviennent immanquablement. Ça donne une impression de redite un peu lassante. Prenons 2 exemples :
    • Pour chacun des 6 jours de la création, Dieu « dit » quelque chose puis « il en est ainsi ».
    • Pour chacun des 6 jours de la création, on retrouve la même formule à la fin : « Et il y eut un soir et il y eut un matin : x-ième jour ».
       
  • 2) On s’ennuie parce que c’est hyper minimaliste. En effet, ce long poème est étonnamment très épuré, très simple, très sobre… loin des récits de création tonitruants ou dithyrambiques de l’époque. Ici, le texte biblique prend l’exact contre-pied des légendes truffées d’exagérations et hyperboles à gogo !

Répétitif et minimaliste donc… Pourtant, ces adjectifs n’ont rien de péjoratif. Au contraire ! En fait, il faut rappeler que ce texte est une sorte de long poème

Autrement dit, chaque fois revient le même refrain… au sens littéral — comme un refrain de musique qui se répète après chaque couplet ! Dit comme ça, c’est d’un coup beaucoup plus mélodieux et poétique !

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Jan Brueghel l'Ancien (1568-1625), Le paradis terrestre (1608, huile sur cuivre, 65 x 45 cm), Musée du Louvre, Paris (France), Domaine public.

Dieu en action : créer, dire, appeler, voir, bénir

Tout est dit dans le titre. Ou presque.

En effet, les différents verbes qui ont Dieu pour sujet dans ce chapitre sont très significatifs. Juste pour vous éviter de relire le chapitre (même si on vous y invite et que ça ne mange pas de pain), voici la liste détaillée : 

  • créa (x 5)
  • se mouvait (x 1)
  • dit (x 10)
  • vit (x 7)
  • sépara (x 2)
  • appela (x 4)
  • fit (x 3)
  • plaça (x 1)
  • bénit (x 2)

On anticipe votre objection : ok très bien cette liste de course, direz-vous, mais que peut-on en tirer ? Eh bien beaucoup de choses ! Retenons-en 3 : 

  1. Dieu est extrêmement présent et extrêmement actif tout au long de ce chapitre. Logique, c’est lui le créateur ! Pour le dire de façon plus ronflante (sans vous empêcher de dormir) : rien de ce qui existe ne lui est étranger, c’est lui le principe et le commencement de toute chose. 
  2. Le verbe qui revient le plus souvent est « dire ». Cette évidence (la plus flagrante de toutes) nous indique en réalité quelque chose d’essentiel : c’est la Parole de Dieu qui donne le « la » tout au long de ce chapitre (le « la » de cette grande chanson, pour filer la métaphore). Et cette parole est elle-même action, comme l’indique la répétition de la formule « et il en fut ainsi » à 6 reprises. 
  3. Le deuxième verbe le plus récurrent est « voir ». À chaque fois, ce verbe revient dans l’expression : « Et Dieu vit que cela était bon ». Dieu est donc non seulement créateur mais aussi admirateur de sa propre création. Il la regarde, il la contemple — et il s’émerveille de la beauté de ce qu’il a créé. 

Mais ce n’est pas tout… 

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Mikalojus Konstantinas Čiurlioni (1875-1911), La Création du monde (III) (1907, tempera, 31 x 37 cm), Musée national des Beaux-Arts, Kaunas (Lituanie), Domaine public.

Ça se répète ça se répète et à la fin ça change

On l’a dit, chacune des six journées racontées en Genèse 1 est rythmée par le soir qui tombe et le matin qui se lève. Et presque* chaque fois revient le même refrain : « Cela est bon »

Dans le texte de la Genèse, le terme hébreu ici traduit par « bon » est tov : il signifie aussi bien « beau » que « bon ». Ce petit détail indique donc la beauté-bonté de la création — et montre bien que le premier à s’arrêter devant cette beauté-bonté, le premier à s’en émerveiller… n’est autre que le créateur lui-même : Dieu. 

*Presque, parce que ce n’est pas automatique… Comme en musique (l’analogie est vraiment la meilleure), l’originalité du récit repose sur la variation qui survient dans un cadre de répétitions. Bref, si on applique cette grille au récit de Gn 1, ça donne ça : 

  • Et Dieu vit la lumière : elle était bonne = J1 
  • [Dieu sépare le ciel et la terre] = J2
  • Et Dieu vit que c’était bon (x 2) [la terre et les mers + l’herbe, les arbres, les fruits] = J3
  • Et Dieu vit que c’était bon [le soleil, la lune et les étoiles] = J4
  • Et Dieu vit que c’était bon [les grands animaux marins et les oiseaux] = J5

Jusque-là, la formule se répète. On poursuit : 

  • Et Dieu vit que c’était bon [animal terrestre, bête domestique, reptile] 
    • + Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voici : c’était très bon [après la création de l’être humain] = J6.

Et voilà la variation ! Dieu constate que la création de l’homme et de la femme, à la fin de toute sa création, est particulièrement bonne. C’est le sommet ! Seule la journée concluant la création de l’homme et de la femme est saluée par ce minuscule adverbe d’intensité en français : « très »… Parfois, un tableau de génie tient à un « trait » de pinceau !

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Le Tintoret (1518-1594), La création des animaux (vers 1553, huile sur toile, 151 x 258 cm), Galeries de l'Académie, Venise (Italie). Domaine public.

Conclusion : musique, répétitions, variation et contemplation

Finalement, la remarque un peu désabusée de nos amis qui trouvaient ennuyeux le texte de Genèse… a du bon ! Si on résume notre éclairage en 3 points à écrire sur un post-it, les voici : 

  • Le texte de Genèse 1 paraît ennuyeux — parce qu’il est répétitif et minimaliste. Mais les répétitions et la sobriété font partie du style poétique de ce texte. 
  • Il faut imaginer un morceau de musique : on s’habitue à un air qui revient plusieurs fois… jusqu’à ce qu’un changement s’immisce soudainement dans la partition. Ce changement, c’est notamment le « très bon » qui conclut le sixième jour, après la création de l’homme et la femme. 
  • Dieu est le premier admirateur de la création

Voilà, c’est tout pour nous ! On se retrouve la semaine prochaine pour attaquer un autre monument biblique : le récit de la tentation en Genèse 3… À dimanche prochain ! Mais ne manquez pas le mot de la fin (allez on finit sur une rime en 1)

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Michelangelo Buronarroti, dit Michel-Ange (1475-1564), La création d'Adam, (1511, fresque, 280 x 570 cm), plafond de la chapelle Sixtine, Musée du Vatican (Vatican). Domaine public.

Le mot de la fin

Laissons à Marguerite Yourcenar le soin de conclure notre numéro. Ce poème revient de manière décalée sur cet extrait de la Genèse.

Et Dieu s'promena, et regarda bien attentivement
Son Soleil, et sa Lune, et les p'tits astres de son firmament.
Il regarda la terre qu'il avait modelée dans sa paume,
Et les plantes et les bêtes qui remplissaient son beau royaume.

Et Dieu s'assit, et se prit la tête dans les mains,
Et dit : "J’suis encore seul ; j'vais m'fabriquer un homme demain."
Et Dieu ramassa un peu d'argile au bord d'la rivière,
Et travailla, agenouillé dans la poussière.

Et Dieu, Dieu qui lança les étoiles au fond des cieux,
Dieu façonna et refaçonna l'homme de son mieux.
Comme une mère penchée sur son p'tit enfant bien-aimé,

Dieu peina, et s' donna du mal, jusqu'à c' que l'homme fût formé.
Et quand il l'eut pétri, et pétri, et repétri,
Dans cette boue faite à son image Dieu souffla l'esprit.

Et l'homme devint une âme vivante,
Et l'homme devint une âme vivante…

Marguerite Yourcenar (1903-1987), « La Création », « L’Ancien et le Nouveau Testament », Fleuve profond, sombre rivière, Paris, Gallimard, 1964

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