Comment se déroule le procès de Jésus ? Quel rôle joue Ponce Pilate ? Peut-on dire que le Christ fut condamné après un procès juste et équitable ?
Dans La dernière tentation du Christ — film de Martin Scorsese d’après le roman de Níkos Kazantzákis (1954), œuvres célèbres pour les controverses qu’elles suscitèrent — David Bowie joue un Ponce Pilate obnubilé par la raison d’État et par la toilette de son cheval.
La scène n'a qu’un rapport lointain avec l’histoire du procès de Jésus présentée par l’Évangile malgré la présence de ses personnages et de son contexte historique. Le film dans son ensemble est une fiction.
Nous vous proposons de suivre la Passion du Christ pas à pas dans l'Évangile de Matthieu. Après avoir été condamné à mort par Ponce Pilate, Jésus est préparé pour la crucifixion par les soldats romains.
Quant à Jésus, il se tint debout devant le gouverneur et le gouverneur l’interrogea :
— Tu es le roi des Juifs ?
Jésus lui déclara :
— C’est toi-même qui le dis.
Et tandis que les grands prêtres et les anciens l’accusaient, il ne répondit rien. Alors Pilate lui dit :
— Est-ce que tu n’entends pas de combien de choses ils témoignent contre toi ?
Et il ne lui répondit pas à un seul mot, si bien que le gouverneur s'étonna à l'extrême.
À chaque fête, le gouverneur avait coutume de relâcher à la foule un prisonnier, celui qu’ils voulaient. Ils avaient alors un prisonnier fameux, nommé Barabbas. Comme ils étaient rassemblés, Pilate leur dit :
— Lequel voulez-vous que je vous relâche ? Barabbas ou Jésus qui est dit Christ ? [...]
Mais les grands prêtres et les anciens persuadèrent les foules de réclamer Barabbas et de faire supprimer Jésus. [...] Pilate leur dit :
— Que ferai-je donc de Jésus dit Christ ?
Tous lui disent :
— Qu’il soit crucifié !
Mais le gouverneur rétorqua :
— Qu’a-t-il donc fait de mal ?
Eux de plus belle criaient en disant :
— Qu’il soit crucifié !
Il faut se pencher sur les coutumes juridiques de l’empire romain, pour bien comprendre les enjeux et les attitudes des différents personnages lors du passage de Jésus devant Pilate dans ce texte.
Le chef d’accusation retenu contre Jésus est clairement politique : quiconque se fait roi s’oppose à César. C’est parce qu'il représente un danger potentiel pour l’ordre public que Jésus est déféré à Pilate.
Rome n’admettait pas l’émergence de rois non approuvés dans les régions contrôlées par l’empire.
L’historien juif contemporain de cette époque, Flavius Josèphe, relate un cas célèbre dans ses Antiquités juives (16,353ss).
Auguste manifeste un mécontentement extrême lorsque Arétas IV, pourtant successeur incontesté, monte sur le trône d’Arabie à la mort de son père Obodas en IX avant Jésus-Christ, sans attendre la permission de Rome.
C’est que Rome comprenait toute prétention royale proclamée comme une rébellion contre le pouvoir impérial. En vertu de la lex Iulia de maiestate, les Romains crucifièrent beaucoup de gens qui se proclamaient rois, et leurs adhérents.
Pilate ne peut donc pas ignorer une telle accusation.
Dans la loi romaine, on ne peut exécuter sans appel que les criminels pris en flagrant délit. Sinon, on doit interroger l’accusé. C'est pour cela que Pilate interroge Jésus.
Mais un accusé qui refuse de se défendre est considéré coupable, comme le rappelle le rhéteur romain Quintilien dans l’Institution oratoire (3,6,14) :
Il n’y a « pas de procès si le défendeur ne répond rien ».
En opposant son silence aux accusations, Jésus court-circuite le procès et hâte une condamnation à mort. Jésus n’a aucune prétention à concurrencer la royauté terrestre. Il lui suffisait de dire que cette accusation était fausse pour être innocenté.
Pourtant, son refus de parler n’est pas un aveu. C’est un moyen de laisser advenir la crucifixion. Jésus consent à être crucifié et ne cherche pas à se défendre :
« Ma vie nul ne la prend, c’est moi qui la donne » (Jn 10,18)
On termine avec le pittoresque « Ecce homo » de Victor Hugo, dans son recueil posthume La fin de Satan (1886) :
« C'était, le jour de Pâque, une coutume
Fort ancienne, où les juifs et Rome étaient d'accord,
Que le peuple, parmi les condamnés à mort,
Choisit un misérable auquel on faisait grâce.
Prés du palais, lieu sombre où la foule s'entasse,
Se pressait, comme autour des ruches les essaims,
Le peuple de la ville et des pays voisins
Qu'un licteur contenait du manche de sa hache.
Les paysans, menant par la corde leur vache,
Les femmes apportant au marché leurs paniers,
Devant le seuil, gardé par douze centeniers,
S'arrêtaient, éclairés par l'aurore vermeille.
La rumeur de la fête avait depuis la veille
Vers les quatre coteaux de Sion dirigé
Les habitants d'Aser et ceux de Bethphagé,
Ceux de Naim et ceux d'Émath; et sur la place
Chaque faubourg avait versé sa populace;
On y voyait aller et venir, sans bâton,
Gais, l'oeil joyeux, des gens qui jadis, disait-on,
Blêmes, et mendiant aux portes des boutiques,
Etaient aveugles, sourds, boiteux, paralytiques,
Et que l'homme appelé le Christ avait guéris.
C'était la même foule aux tumultueux cris
Qui, naguère, agitant au vent des branches vertes,
Et les âmes à Dieu toutes grandes ouvertes,
Battant des mains, chantant des cantiques, courait
Dans les chemins devant Jésus de Nazareth.
Plusieurs l'avaient béni comme un dieu qu'on écoute;
Et, pour avoir jeté leurs manteaux sur sa route,
Ils avaient de la terre encore à leurs habits.
Deux hastati de Rome, aux casques bien fourbis,
Se promenaient devant la porte du prétoire;
Et des marchandes d'eau vendaient au peuple à boire,
Et les petits enfants jouaient aux osselets.
Tout à coup apparut sur le seuil du palais
Christ couronné d'épine et vêtu d'écarlate;
Il avait un roseau dans la main; et Pilate,
Le leur montrant, leur dit : Voilà l'homme.
Le Christ
Se taisait, l'oeil au ciel.
Et Pilate reprit :
- C'est aujourd'hui qu'on laisse un misérable vivre.
Peuple, lequel des deux veux-tu que je délivre :
Barabbas, ou Jésus nommé Christ; - Barabbas;
Cria le peuple. Alors, au-dessous de leur pas,
Ils crurent tous entendre on ne sait quel tonnerre
Rouler... - C'était quelqu'un qui riait sous la terre.
Ainsi jugeaient les juifs sous l'oeil froid des romains.
Ponce Pilate songe et se lave les mains. »
Victor Hugo, « Ecce homo », La fin de Satan, 1886