Pourquoi Joseph est-il vendu par ses frères ? Qui est Ruben, le seul à s’opposer à la fratrie ? Que nous apprend ce texte sur le mal et la violence ?
Chez PRIXM, on s'émerveille de semaine en semaine devant les splendeurs capillaires qui ont vu le jour au cours de l'Histoire. La perruque ondulée de Georg Friedrich Handel occupe évidemment une place de choix dans cette galerie.
Le compositeur allemand, qui devint sujet anglais (drôle de choix) a aussi composé un merveilleux oratorio en 1743, intitulé « Joseph et ses frères ».
Bon, ça dure 1 h 30 donc n’oubliez pas de revenir finir la newsletter du jour.
Voilà plusieurs dimanches que nous lisons l'histoire de Joseph et de ses frères. Après avoir souligné qu'il était un peu agaçant pour eux, on a découvert dans un article précédent que les songes que Joseph racontait à ses frères font grandir chez eux la haine et la jalousie. Ceux-ci se concertent pour voir comment se débarrasser de leur frère. Joseph, lui, semble perdu :
Et un homme le trouva errant dans le champ et l’homme lui demanda :
— Que cherches-tu ?
Et il dit :
— Ce sont mes frères que je suis en train de chercher, dis-moi donc où ils paissent [leurs troupeaux].
Et l’homme dit :
— Ils sont partis d’ici car je [les] ai entendu dire « Allons donc à Dothan ».
Et Joseph alla après ses frères et les trouva à Dothan.
Alors qu'ils l'avaient vu au loin et avant qu'il approchât d'eux, ils complotèrent contre lui pour le faire mourir.
Et ils dirent chacun à son frère :
— Voici le rêveur, c’est lui qui arrive. Et maintenant allez et tuons-le et jetons-le dans une des citernes et nous dirons qu'un bête féroce l'a dévoré et nous verrons ce qu'il en sera de ses rêves.
Et Ruben entendit et il le délivra de leur main et il dit :
— Ne portons pas atteinte à sa vie.
Et Ruben leur dit :
— Ne versez pas le sang. Jetez-le dans cette citerne qui [est] dans le désert et ne portez pas la main sur lui.
[Tout cela] afin de le délivrer de leur main.
Donc, lorsque Joseph arriva auprès de ses frères, ils dépouillèrent Joseph de la tunique bigarrée qui était sur lui. Et ils le prirent et le jetèrent dans la citerne et la citerne était vide. Et ils s'assirent pour manger le pain et ils levèrent les yeux et virent une caravane d'Ismaélites venant de Gilead et leurs chameaux portant de la gomme adragante et du baume pour les faire transporter en Egypte.
Et Juda dit à ses frères :
— Quel profit si nous tuons notre frère et nous cachons son sang ? Allons le vendre aux Ismaélites et ne portons pas la main sur lui ; car il est notre frère, notre chair.
Ses frères l’écoutèrent et, quand les marchands madianites passèrent, ils tirèrent Joseph et le firent remonter de la citerne ; et ils le vendirent pour vingt pièces d’argent aux Ismaélites, qui l’emmenèrent en Égypte.
Comme on l’a vu dans l’épisode précédent, les frères de Joseph le jalousent car il leur raconte ses songes (songe où Joseph domine ses frères qui s'inclinent devant lui).
Après avoir mis en place les éléments du drame et la jalousie extrême, il suffit d'un rien pour que tout s'accélère. En quelques versets, les frères voient arriver Joseph, parlent entre eux et décident de le tuer. L’enchaînement est ultrarapide ! Cette décision unanime de le tuer arrive comme si ce meurtre était évident.
« Et maintenant allez et tuons-le et jetons-le dans une des citernes et nous dirons qu'un bête féroce l'a dévoré et nous verrons ce que seront ses rêves. » (Gn 37, 20)
L’accumulation des verbes montre à quel point les frères ont hâte d’assouvir leur jalousie.
Face à cet empressement à tuer leur frère Joseph, l’un des 11 frères s’oppose. Ruben n'est pas d'accord. Il est d’ailleurs le seul à s’opposer à ce projet de mise à mort si vite conclu :
« Et Ruben entendit et il le délivra de leur main et il dit :
— Ne portons pas atteinte à sa vie. » (Gn 37, 21)
Une première remarque nous indique le sens de la responsabilité de Ruben : Il dit à ses frères : « ne portons pas atteinte à sa vie » et non : « ne portez pas ».
Autrement dit : Ruben s’inclut dans la fratrie tout en refusant ce qui est sur le point d’être scellé. Par là-même, il est responsable, au même titre que ses frères : il n'est pas leur juge.
Ruben est l’aîné de la fratrie. Pour Rachi, alias Salomon de Troyes, grand exégète juif du XIe siècle, c’est très important. Rachi essaie de comprendre ce qui pousse Ruben à s'opposer au meurtre de Joseph. Ruben se sent responsable.
« Le texte porte ici témoignage que Ruben n’a dit cela que pour le sauver, car il viendra l’en retirer. « Je suis l’aîné, s’est-il dit, et le plus grand de tous. Et la faute ne retomberait que sur moi ! » (Beréchith raba 84, 15)
À l'attitude des frères jaloux de Joseph s'oppose l'attitude d'un frère décrit par le moine Dorothée de Gaza qui vécut au sixième siècle :
«J'ai entendu dire d'un frère que si, allant voir un autre, il trouvait sa cellule négligée et en désordre, il se disait en lui-même : « Comme ce frère est heureux d'être complètement détaché des choses terrestres et de porter si bien tout son esprit en haut, qu'il n'a même plus le loisir de ranger sa cellule ! »
S'il allait ensuite chez un autre frère, et trouvait sa cellule rangée, propre et bien en ordre, il se disait : « La cellule de ce frère est aussi nette que son âme. Tel l'état de son âme, tel l'état de sa cellule ! » Jamais il ne disait de quelqu'un : « Celui-ci est désordonné » ou : « Celui-là est frivole. »
Dorothée de Gaza (v. 500-?), Lettre 1 (trad. cf SC 92, p. 495)