L'épisode du sacrifice d'Isaac par son père Abraham est absolument déroutant. Comment comprendre un tel geste et une telle demande de la part de Dieu ?
Dans son morceau The story of Isaac sorti en 1969, le grand chanteur canadien Leonard Cohen reprend l'histoire biblique du sacrifice d'Isaac dans le contexte de la guerre au Vietnam.
La Genèse est le premier des cinq « livres de Moïse » et offre à son lecteur une réflexion anthropologique. La thématique qui parcourt l’ensemble du récit concerne les relations fondatrices de l’être humain. L’historien ne peut pas dire grand-chose sur l’historicité des personnages et des faits relatés dans la Genèse. Les sources anciennes connues par ailleurs sont muettes sur les faits que raconte ce livre.
Dieu mit au test Abraham – il lui dit :
— Prends, je te prie, ton fils ton unique que tu aimes Isaac et va-t’en vers la terre du Morîyâ et fais-le monter là pour un holocauste sur une des montagnes que je te dirai. […]
Et ils arrivèrent au lieu que Dieu lui avait dit.
Et Abraham construisit là l’autel et il disposa le bois.
Et il lia Isaac son fils.
Et le plaça sur l’autel par-dessus le bois.
Et Abraham étendit la main et il prit le couteau pour immoler son fils.
Et l’ange messager du Seigneur l’appela du ciel et il dit :
— Abraham Abraham
Et il dit :
— Me voici
Et il dit :
— N’étends pas la main vers le garçon et ne lui fais rien. Oui maintenant je sais que tu es un craignant Dieu et tu ne m’as pas épargné ton fils, ton unique.
Voilà une question longuement débattue par tous les lecteurs de ce texte. Nous vous proposons deux pistes de réponse :
Pour les Pères de l'Église, Isaac chargé du bois préfigure Jésus qui « porte lui-même sa croix » (Jn 19, 17). Le sacrifice d'Isaac viendrait préparer la passion du Christ.
Père de l’Église du troisième siècle, Clément d’Alexandrie indique :
« Isaac est le type du Seigneur : enfant en tant que fils – puisqu’il était le fils d’Abraham comme le Christ est le fils de Dieu – victime comme le Seigneur. Mais il ne fut pas consumé, comme le fut le Seigneur. Isaac se borna à porter le bois du sacrifice, comme le Seigneur celui de la croix. » (Paed. 1,5, 23)
Les Pères de l’Église insistent donc sur la pédagogie divine : cet événement préfigure simplement un père prêt à sacrifier son fils, son unique. Cette exigence insoutenable de Dieu pour Abraham, Dieu se l’infligera dans le Nouveau Testament, en envoyant son Fils sur la croix.
Par cette demande terrible à Abraham, Dieu prépare le peuple des croyants à percevoir le sacrifice qu’Il fera lui-même au moment de la Passion du Christ.
De nombreux auteurs contemporains font appel aux sciences humaines pour relire le récit de la ligature d’Isaac.
Ainsi, la psychologue et psychanalyste Marie Balmary, en 1986, lit le passage en fonction de son expérience psychanalytique clinique : Abraham ne comprend pas la demande divine. Ce n’est pas son fils Isaac qu’il doit sacrifier en le tuant, c’est sa paternité mal comprise qui doit être sacrifiée, pour qu’Isaac devienne un homme adulte et libre.
Cette question du sacrifice d’Isaac fait écho à la question de la présence du mal et de son rapport à Dieu. C’est un thème qu’aborde Olivier Clément dans son autobiographie spirituelle L’autre soleil :
« Comme tout le monde, et pour longtemps encore, j’achoppais au mystère du mal et "rendais mon billet" devant un ordre universel par trop complice de l’horreur. Je ne savais pas encore que la Sagesse originelle est traversée par le tragique (en moi d’abord), que le Créateur, chassé de sa création, n’a pu y entrer que crucifié, que la puissance de la résurrection a besoin de nos libertés pour achever et transfigurer l’univers… »
Olivier Clément, L’autre soleil, Desclée de Brouwer, 2010, Paris, p. 58-59