Comment la tradition juive permet-elle de mieux comprendre le Coran ? Les différents textes sacrés se font-ils écho ? Que raconte le récit coranique de l'arrivée de la Reine de Saba ?
Ma femme c'est une bombe, une hécatombe
Quand elle passe dans ton monde ; tous les gars tombent [...]
Indépendante est ma femme, l'intelligence incarnée
C'est la reine de Saba, c'est Cléopâtre réincarnée
Dans Ma Femme, chanson qui prend la forme d'une ode et d'une sublime déclaration d'amour à sa femme, le chanteur et rappeur Gaël Faye compare la beauté de sa femme à celle de la Reine de Saba. Pour écouter ce moment de poésie contemporaine, appuyez sur la tête de Gaël en plein concert.
Écrite en 1996 par Jean-Jacques Goldman, la célèbre et mythique chanson « Aïcha » de Khaled fait également référence à la Reine de Saba, connue pour son charme, pour sa beauté et pour les merveilles et richesses de son royaume.
Et pour mieux comprendre la référence, on s'occupe de vous faire découvrir ou redécouvrir ce savoureux passage de l'Ancien Testament... et du Coran !
Au commencement de son règne, le roi Salomon demande une chose à Dieu : la sagesse pour gouverner. Dieu lui donne cette sagesse qui fera sa renommée « dans toute la région et bien au-delà d’Israël ». La Reine de Saba, impressionnée par l’aura qui entoure le roi Salomon, décide donc de venir à Jérusalem pour se faire sa propre idée.
La reine de Saba, ayant appris la renommée de Salomon, au nom de YHWH, vint l’éprouver par des énigmes. Elle vint à Jérusalem avec un équipage très considérable, des chameaux portant des aromates, de l’or en très grande quantité et des pierres précieuses. Elle vint auprès de Salomon et lui dit tout ce qu’elle avait en son cœur.
Salomon répondit à toutes ses questions. [...] Quand la reine de Saba eut vu toute la sagesse de Salomon et la maison qu’il avait bâtie et les mets de sa table et les appartements de ses serviteurs et les chambres et les vêtements de ses domestiques, ses échansons et l'escalier par où il montait dans la maison de YHWH, elle eut le souffle coupé.
Elle dit au roi :
— Elle était vraie la parole que j'ai entendue dans ma terre sur tes paroles et sur ta sagesse ! Je ne croyais pas leurs dires jusqu'à ce que je sois venue et que j'aie vu de mes yeux et voici qu’on ne m’en avait pas rapporté la moitié ! Tu surpasses en sagesse et en magnificence la renommée que j'avais entendue. Heureux tes gens, heureux tes serviteurs, ceux-ci qui se tiennent devant toi continuellement, écoutant ta sagesse ! Que YHWH ton Dieu soit béni, lui qui s’est complu en toi et t'a placé sur le trône d’Israël, parce que YHWH aime Israël pour toujours et il t’a établi roi pour que tu fasses le jugement et la justice.
Ce texte biblique très célèbre a beaucoup inspiré les traditions juives et musulmanes. Aujourd’hui, avec les Frères de l'Institut dominicain d’études orientales (IDÉO), spécialistes internationaux (si, si, on insiste) de l’étude coranique, on s’intéresse à un sujet pointu et marrant :
Comment le Coran, en s’inspirant de la tradition juive, nous parle-t-il de la visite de la reine de Saba à Salomon ?
👉 Voilà ce que nous raconte le Coran de cette visite (Coran, Sourate 27 « Les fourmis », verset 44, traduction de Denise Masson) :
On lui dit : « Entre dans le palais ! »
Lorsqu’elle l’aperçut, elle crut voir une pièce d’eau, et elle découvrit ses jambes.
Salomon dit : « C’est un palais dallé de cristal ! »
Elle dit : « Mon Seigneur ! Je me suis fait tort à moi-même ; avec Salomon, je me soumets à Dieu, Seigneur des mondes ! »
On peut déjà noter une petite différence entre les textes biblique et coranique :
Première remarque : dans le Targūm Shênī, texte de la tradition juive rédigé en araméen et amplifiant le récit biblique, c’est également Salomon qui convoque la reine de Saba. C’est l’indice d’une influence de la tradition juive sur ce texte du Coran.
Dans l’Arabie pré-islamique, les hommes croyaient en l’existence de Djinn, créatures invisibles dotées de pouvoirs surnaturels pouvant prendre différentes formes et capables d’influencer les êtres humains. La tradition musulmane qui fleurit dans les premiers temps en Arabie va reprendre cette croyance.
La tradition musulmane relisant ce texte raconte que des djinns de l’entourage de Salomon lui avaient soufflé que la reine de Saba était elle-même un djinn, et qu’elle avait des jambes poilues et des sabots de chèvre.
C’est pour le vérifier que Salomon la fit entrer sur un sol de cristal. Croyant voir de l’eau, elle relève sa robe. Salomon voit qu’elle a du poil aux jambes... mais ses pieds sont bien humains. Salomon est donc rassuré sur le fait que la Reine de Saba est bien une femme.
En fait, cette histoire de poil aux jambes vient d’un midrash juif. On voit donc ici un nouveau détail qui indique que la tradition musulmane lit le texte du Coran en écho de la tradition juive.
En voyant le sol de cristal, qu’elle prend pour une pièce d’eau, la reine de Saba semble réaliser qu’elle a face à elle un homme de Dieu et se convertit.
Sauf à en rester à une lecture superficielle et à des histoires de poils, ce point-là du texte coranique est incompréhensible si l’on ne connaît pas l’avertissement de Rabbi Aqiba (rabbin du premier siècle) à ceux qui entreront au paradis : ils arriveront sur un sol de marbre pur qu’ils prendront pour de l’eau.
👉 Au moment où elle relève sa robe, la reine comprend qu’elle entre au paradis, c’est-à-dire que Salomon est saint, et donc qu’il adore le vrai Dieu. Et elle se convertit.
Cela constitue un troisième indice de l’influence de la tradition juive sur ce texte du Coran et surtout de la nécessité de connaître les textes des rabbins pour bien interpréter le texte du Coran !
Comme les frères de l’IDÉO sont sympas, ils ont pensé à toutes les questions que vous pourriez vous poser, ou l’éventuelle envie d’en savoir plus qui pourrait vous étreindre. Du coup, si l’un ou l’autre sujet de l’éclairage du jour vous intéresse, vous pouvez vous procurer l’un de ces ouvrages. Sûr que vous ne perdrez pas votre temps :
On vous propose de suivre des cours aux Bernardins