Le portement de croix de Brueghel : une kermesse géante ?

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Découvrez le portement de croix de Jésus peint par Brueghel ! Pourquoi Jésus est-il caché au milieu d’une foule ?

4 minutes et 14 secondes avec Ben Mazué, Brueghel l'Ancien et Paul Claude
Dernière mise à jour -  
10/4/2025

Ben Mazué lui aussi porte sa croix


Dans son morceau J’arrive sorti en 2017, Ben Mazué entonne notamment ces paroles : « Oh, porte ma croix / juste quelques heures »... 

Bingo, l'expression « porter sa croix » est bien évidemment une référence directe au chemin de croix de Jésus. Ce thème du « Chemin de Croix » a d'ailleurs inspiré bon nombre d'artistes... et notamment le peintre flamand Brueghel l’Ancien. On s'attaquera justement à son tableau Le Portement de Croix dans notre éclairage.

Mais avant de s'attarder sur ce tableau de génie, lisons le texte biblique qui inspire et cette musique et ce tableau !

Le texte biblique qui raconte le portement de croix de Jésus

Jésus a été arrêté par les grands prêtres suite à la trahison de Judas. Ceux-ci emmènent Jésus devant Ponce Pilate, le gouverneur romain de la région pour qu’il le fasse périr. Après plusieurs tentatives d’innocenter Jésus, Pilate le livre aux Juifs pour qu’il soit crucifié.

Les soldats du gouverneur emmenèrent Jésus dans la salle du Prétoire et rassemblèrent autour de lui toute la garde.

Ils lui enlevèrent ses vêtements et le couvrirent d’un manteau rouge. Puis, avec des épines, ils tressèrent une couronne, et la posèrent sur sa tête ; ils lui mirent un roseau dans la main droite et, pour se moquer de lui, ils s’agenouillaient devant lui en disant : 
— Salut, roi des Juifs ! 

Et, après avoir craché sur lui, ils prirent le roseau, et ils le frappaient à la tête. Quand ils se furent bien moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau, lui remirent ses vêtements, et l’emmenèrent pour le crucifier.

En sortant, ils trouvèrent un nommé Simon, originaire de Cyrène, et ils le réquisitionnèrent pour porter la croix de Jésus.

Arrivés en un lieu dit Golgotha, c’est-à-dire : Lieu-du-Crâne (ou Calvaire), ils donnèrent à boire à Jésus du vin mêlé de fiel ; il en goûta, mais ne voulut pas boire. 

Après l’avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort ; et ils restaient là, assis, à le garder. Au-dessus de sa tête ils placèrent une inscription indiquant le motif de sa condamnation : Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs.

Évangile selon saint Matthieu, chapitre 27, versets 27 à 37. Traduit du grec par les équipes du programme de recherches La Bible en ses Traditions.

Jésus caché au milieu d’une foule en délire ?

Peint en 1564, Le Portement de Croix est un célèbre tableau de Pieter Brueghel l’Ancien. Il représente un épisode de la Passion du Christ... mais surtout : il fourmille de détails !

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Pieter Brueghel l'Ancien (ca 1530-1569), Le Portement de Croix (1564, huile sur bois de chêne, 124 x 170 cm), Musée de l'Histoire de l'Art, Vienne (Autriche). Domaine public.

Une vraie bande dessinée : c’est la foire !

Si le titre du tableau évoque la Passion du Christ, les personnages du tableau (plus de 250 !) ne semblent pas vraiment s’en préoccuper...

  • Tout en haut à gauche, des enfants jouent dans les flaques d’eau au pied d'un étrange moulin suspendu.
  • Au centre, un long chemin couvre une grande partie de la toile. Plein de personnages se rendent à l’exécution. Certains se déplacent à cheval, d'autres à pied sur le flanc de colline. La plupart d'entre eux semblent indifférents au drame qui se prépare.
  • En haut à droite, on remarque une forme ronde, noire de monde. On peut penser qu’il s’agit d’un spectacle de rue. Pourtant, à bien y regarder, la foule s’amasse autour de deux croix (voir ci-dessous). Ces deux croix plantent le décor : on est au Golgotha, le lieu de la crucifixion de Jésus, à l’extérieur de Jérusalem (on distingue d’ailleurs la ville au loin dans le haut du tableau à gauche).

L’atmosphère est donc assez particulière — à la fois festive et tragique, très loin des représentations traditionnelles avec Jésus sur la croix sur un décor sobre. Ici, ça grouille de monde un peu partout !

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Détail en haut à droite de la toile de Pieter Brueghel l'Ancien Le Portement de Croix (1564) : la foule est attroupée autour des deux croix et de la troisième qu'un homme est en train de creuser.

Il est où Jésus, il est où… ? 

Observons désormais l'ensemble du tableau. 

Bien qu'il soit placé à l'exact centre de la toile, le Christ est bien caché ! Il est au troisième plan, minuscule, vêtu de bleu sombre au milieu de la foule. Bref, au premier coup d'œil, on a du mal à le distinguer. 

Qui plus est, il n’est même pas debout ! Il est écrasé par le poids de sa croix — ce qui réduit encore sa taille dans le tableau. Tout semble fait pour que le spectateur ne le remarque pas d’emblée

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Détail au centre de la toile de Pieter Brueghel l'Ancien Le Portement de Croix (1564) : Jésus, couronne d'épines sur la tête, porte la croix sur laquelle il sera cloué.

Une vilaine dispute de couple ?

Au second plan, un personnage montre du doigt quelque chose. L’observateur suit des yeux la direction indiquée et son regard tombe immanquablement… sur deux soldats qui arrachent un homme à son épouse (ci-dessous). 

Cette scène attire l’attention de tous les personnages des alentours et semble les remplir d’effroi. Elle est sans doute destinée à polariser toute notre attention sur un élément du tableau qui détourne le regard, l'éloignant de Jésus et de sa croix.

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Détail au second plan à gauche en bas de la toile de Pieter Brueghel l'Ancien Le Portement de Croix (1564) : deux soldats arrachent un homme à son épouse, sous le regard éberlué d'une foule de gens qui assistent à la scène.

Un petit groupe d’intrus

Les seuls personnages qui prennent conscience du drame qui est en train de se dérouler se trouvent au premier plan en bas à droite. Il s’agit de Marie, de Jean et d’un groupe de femmes (ci-dessous) : « Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. » (Jn 19, 25)

  • En plus grand format que le reste du tableau, Marie est assise, le visage défait, soutenue par un jeune homme qu’on devine être l’apôtre Jean. Ils contrastent nettement avec l’ambiance et le style du reste de la toile et leurs traits évoquent la peinture d’un artiste flamand de la même époque : Van Eyck.
  • De chaque côté de Marie, les saintes femmes Marie-Madeleine et Marie Cléophas — pleurent (Lc 23, 27-28).
  • L’intensité de la douleur, les plis des vêtements, la finesse des visages et des mains reprennent font penser au style de Rogier van der Weyden et son célèbre tableau La descente de croix.

En fait, 2 ambiances coexistent dans ce tableau : 

  • l’atmosphère tragique de ce groupe de femmes en pleurs, leurs teints pâles, les yeux au sol, accablées de douleurs...
  • et l’atmosphère légère et frivole de la foule occupée çà et là par mille activités diverses !
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Détail au premier plan à droite en bas de la toile de Pieter Brueghel l'Ancien Le Portement de Croix (1564) : les « saintes femmes » (Marie mère de Jésus au centre en gris, Marie-Madeleine, Marie-Cléophas et les autres).

Un message politique ?

Le Christ et les deux condamnés dans la charrette qui le précède se dirigent vers le lieu d’exécution, entourés d’une troupe de soldats en tuniques rouges. Or, si on regarde bien, ces soldats ne sont pas romains mais espagnols, armés de piques et précédés par la bannière des Habsbourg (l’aigle à deux têtes). 

Pourquoi cet anachronisme ? La réponse tient à une simple remise en contexte (*c’est le moment Histoire sur France Culture !) : 

  • À l’époque de Brueghel l’Ancien, la Hollande est sous domination espagnole de la famille des Hasbourg. Celui qui est alors le maître en Flandres et en Brabant est catholique — Charles Quint, roi d’Espagne et empereur du Saint Empire Romain Germanique.
  • Or, à la naissance du peintre en 1525, l’Église est en train de se fissurer : à la suite de Luther, les Églises réformées connaissent une grande popularité dans les provinces du Nord de la Hollande alors que celles du Sud restent attachées à l'Église catholique et à l’empereur.
  • Des persécutions commencent aux Pays-Bas, en application des édits de Charles Quint qui déclare alors que les hérétiques (ici, les protestants) sont condamnables à mort. Super l'ambiance.
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Détail au deuxième plan à gauche en bas de la toile de Pieter Brueghel l'Ancien Le Portement de Croix (1564) : les hallebardes et les tuniques rouges caractérisent les soldats espagnols de Charles Quint.

Conclusion : que retenir de ce tableau de génie ?

Finalement, le sujet du tableau est double : 

  • Il évoque certes la Passion du Christ (événement historique du premier siècle ici transposé au contexte et à l’époque du peintre),
  • mais il fait aussi allusion à la brutale répression politique et religieuse que connurent les Pays-Bas à l’époque de Brueghel (alias la guerre de religion entre catholiques et protestants).

Voilà, vous y voyez désormais un peu plus clair dans cet immense tableau qui ne dépeint pas une fête foraine de village du XVIe siècle, mais bien le chemin de croix du Christ ! 

Jésus, personnage principal de la toile, apparaît pourtant comme une tache minuscule et insignifiante ! Bref, le spectateur est mis dans la même situation que les badauds de l’époque : 

  • quelque chose de fondamental est en train de se passer (Jésus meurt sur la croix pour sauver les péchés du monde), 
  • mais la plupart des témoins sont en train de passer à côté.
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Pieter Brueghel l'Ancien (vers 1530-1569), Le Portement de Croix (détail, 1564, huile sur bois de chêne, 124 x 170 cm), Musée de l'Histoire de l'Art, Vienne (Autriche). Domaine public.

Le mot de la fin

Pour conclure, place à Paul Claudel qui reprend lui aussi l’épisode du Portement de la Croix de Jésus dans son œuvre Le chemin de la Croix en décrivant la douleur du Christ :

Ah ! Que la croix est longue, et qu'elle est énorme et difficile ! Qu'elle est dure ! qu'elle est rigide ! que c'est lourd, le poids du pécheur inutile ! Que c'est long à porter pas à pas jusqu'à ce qu'on meure dessus ! Est-ce vous qui allez porter cela tout seul Seigneur Jésus ?

Paul Claudel (1868-1965), Le Chemin de la Croix, 1911, Deuxième Station «Jésus est chargé de la Croix »

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Questions Fréquentes

Qui est Pieter Brueghel l’Ancien et quand a-t-il peint le tableau du Portement de la Croix ?

Pieter Brueghel l’Ancien est un peintre flamand du XVIe siècle (vers 1525–1569), connu pour ses scènes de la vie paysanne et ses tableaux religieux à haute charge symbolique. Le Portement de croix est une œuvre réalisée en 1564, dans un contexte de tensions religieuses et sociales aux Pays-Bas.

Où se trouve Jésus dans le tableau Le Portement de croix ?

De manière surprenante, Jésus est presque invisible, perdu dans la foule grouillante. Il porte sa croix au centre, mais n’attire pas immédiatement le regard. Ce choix esthétique met en lumière la discrétion du Christ souffrant dans un monde indifférent ou trop occupé.

Quels personnages sont mis en avant dans cette œuvre ?

Outre Jésus, Brueghel met en évidence :

  • Les soldats, les curieux, les bourreaux,
  • Simon de Cyrène, contraint de porter la croix,
  • Et des groupes anonymes, qui illustrent la masse silencieuse face à la souffrance.

Chaque figure invite le spectateur à se situer dans la scène : Où suis-je dans ce cortège ?

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