Que racontent les évangiles sur la descente de croix de Jésus après sa mort ? Comment Rogier van der Weyden peint-il cette scène ? Quel lien établit-il entre Jésus et sa mère ?
Dans le numéro d’aujourd’hui, une place toute particulière est donnée à la Vierge Marie, celle-là même que Beyoncé chante avec émotion dans cette reprise inédite de l’Ave Maria sortie en 2008 !
La semaine dernière, on a parlé de Joseph d'Arimathie et de la mise au tombeau. Aujourd'hui, on poursuit notre lecture de l’évangile de Matthieu, au moment de la mort de Jésus sur la croix.
Jésus, ayant crié de nouveau d’une voix forte, remit l’esprit. [...]
Étaient là aussi de nombreuses femmes observant à distance, qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée en le servant, parmi lesquelles se trouvaient Marie la Magdeleine, et Marie, mère de Jacques et de José, et la mère des fils de Zébédée.
Le soir venu, vint un homme riche d’Arimathie, nommé Joseph, qui lui aussi était disciple de Jésus. Il alla trouver Pilate pour demander le corps de Jésus ; Pilate alors ordonna qu’on le lui remît. Ayant pris le corps, Joseph l’enveloppa d’un linceul blanc, et le déposa dans le tombeau neuf qu’il s’était fait tailler dans le roc ; puis, ayant roulé une grosse pierre à l’entrée du sépulcre, il s’en alla.
Aujourd’hui, nous éclairons ce passage de l’évangile à partir d’un tableau célébrissime : La descente de Croix de Rogier van der Weyden (1399-1464), conservé au Musée du Prado, à Madrid.
Peinte vers 1435 dans la pure tradition flamande, cette huile sur bois reprend un thème iconographique très populaire : la descente de croix de Jésus après sa mort.
Et comment les évangiles racontent-ils cette scène ? Eh bien… à vrai dire, ils ne la racontent pas. En effet, les évangélistes passent directement du récit de la mort de Jésus à son ensevelissement. Ainsi, l’épisode de la descente de croix, à l’image de Matthieu dans le texte ci-dessous, n’est pas racontée…
Les artistes chrétiens ont contemplé ce mystère du sacrifice du Christ à la lumière des Écritures et de leur propre expérience de l'eucharistie comme lieu du sacrifice.
Ce tableau a enflammé les débats entre historiens de l’art, et on ne prétend pas les résoudre. On vous propose donc de distinguer les 3 personnages entourant le Christ au centre du tableau. Ce sont bien sûr des hypothèses :
Ce qui saisit le spectateur à la vue de ce tableau, c’est l’intensité de l’émotion qui submerge chacun des personnages :
Le point central du tableau est bien le corps blafard et nu du Christ mort, comme l'hostie dans les mains du prêtre.
La Vierge Marie, mère de Jésus, est représentée dans sa couleur traditionnelle, le bleu. Mais la composition du tableau suggère qu’elle est le miroir et l'imitation idéale du Christ : le spectateur remarque l’extrême pâleur de son visage.
On observe d’ailleurs une identité entre la posture corporelle de Jésus et celle de sa mère Marie. C’est là selon nous l’une des clés de lecture que le génie flamand veut dégager pour aborder le thème de la descente de croix : il y a une si grande intimité entre la mère et le fils que la douleur du fils (ici, Jésus qui est mort) se retranscrit dans la chair de sa mère (ici, Marie qui s’évanouit).
Autrement dit : Marie ressent tout ce que son fils ressent, et en voyant son fils mort, c’est comme mourir pour elle. Telle est du reste l’interprétation fantastique et puissante du peintre flamand.
Par cette insistance particulière sur la figure de Marie qui redouble la souffrance du Christ, van der Weyden peint ainsi une mère en situation de défaillir en s'associant à la mort de son fils.
Ce tableau est une œuvre aux dimensions gigantesques puisqu’il mesure 220 x 262 cm ! Autrement dit, les 10 personnages qui sont représentés dans ce tableau sont globalement peints à l’échelle 1/1, c’est-à-dire en grandeur nature.
La taille du tableau est d'ailleurs un moyen supplémentaire pour le spectateur de se sentir saisi par la scène, comme happé au milieu de tant de douleurs en se tenant, comme les personnages, auprès de Jésus mort.
Pour mieux comprendre l'ampleur de ce tableau, il faut préciser qu'il n'a pas été peint pour un musée. En effet, c'est un retable, c'est-à-dire un mobilier liturgique, qui se trouve au-dessus de l'autel où est célébré le sacrifice de la messe, du Christ mort.
Au moment de l'élévation pendant la messe, le fidèle fait ainsi l'expérience de voir l'hostie consacrée se tenir devant le corps du Christ peint sur le retable : il y a identité entre le corps du Christ représenté sur le retable et le corps du Christ consacré dans l'hostie.
Philosophe existentialiste chrétien, écrivain, auteur de pièces de théâtre et contemporain de Sartre, Gabriel Marcel (1889-1973) est un personnage à part. Il évoque ici le cœur de ce moment d’incompréhension au moment de la descente de la croix — l’espérance en face de la question de la mort :
« Il reste la très grande question, la question la plus importante, et c’est la mort. La situation de l’homme est telle que l’homme peut effectivement se trouver investi par le désespoir. Il peut se sentir enveloppé par ce désespoir. Et je dirais – non pas seulement en chrétien, mais en métaphysicien – que pour moi l’espérance est l’espérance du salut. Et je dirais plus précisément l’espérance de la résurrection. Cela signifie que pour moi l’espérance est par essence même, non de façon contingente, dans un au-delà. La mort est réellement le heurtoir. On pourrait prendre une autre image et dire : le tremplin. Le heurtoir où se bloque le train de l’espérance, mais aussi le tremplin où il prend son élan… »
Gabriel Marcel, Tu ne mourras pas, Paris, Arfuyen, 2005, p. 98-99