Pourquoi Thomas n'arrive-t-il pas à croire Jésus vraiment ressuscité sans le voir et le toucher ? Le Christ choisit-il le corps dans lequel il ressuscite ?
Comme le dit et le chante plein poumon l'immense Dolly Parton : He is alive, il est vivant...
C'est ce que les Chrétiens célèbre au matin de Pâques : la Résurrection et le Christ vivant trois jours après sa mort au sommet de la croix.
Le soir de ce jour-là, le premier de la semaine, alors que, par crainte des [notables] juifs, on avait verrouillé les portes [de la maison] où se trouvaient les disciples, Jésus arrive, se présente au milieu et leur dit :
— La paix avec vous.
À ces mots, il leur montra ses mains ainsi que son côté. À la vue du Seigneur, les disciples furent saisis de bonheur. Jésus leur dit de nouveau :
— La paix avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour, je vous envoie.
Cela dit, il émit son souffle en disant :
— Recevez l’Esprit Saint !
[…]
Thomas, l’un des douze, celui qui portait le nom de ‘Jumeau’, n’était pas avec eux quand vint Jésus. Les autres disciples lui disaient donc :
— Nous avons vu le Seigneur !
Mais il leur répondit :
— Tant que dans ses mains je n’aurai pas vu la trace des clous et mis mon doigt dans la trace des clous et mis ma main dans son côté, je ne pourrai pas croire.
Au bout de huit jours, les disciples de Jésus étaient de nouveau dans la maison et Thomas se trouvait avec eux. Jésus survient, toutes portes closes, et se présente au milieu et dit :
— La paix avec vous.
Ensuite il dit à Thomas :
— Avance ici ton doigt et regarde mes mains, avance ta main et mets-la dans mon côté, ne sois plus incrédule mais croyant.
Et Thomas répond et lui dit :
— Mon Seigneur et mon Dieu !
Jésus lui dit :
— À présent que tu me vois, te voilà plein de foi. Heureux ceux qui ont eu foi sans avoir vu.
Le disciple Thomas exprime une exigence double :
« Tant que dans ses mains je n’aurai pas vu la trace des clous et mis mon doigt dans la trace des clous et mis ma main dans son côté, je ne pourrai pas croire. » (Jn 20,25)
Pour croire, le disciple veut d’abord voir et même plus : il veut toucher. En demandant à « toucher », le disciple convoque le sens le plus indubitable :
C’est cette certitude qui est offerte à Thomas selon ce que rapportent les Évangiles : Jésus est ressuscité, il a vaincu la mort non pas sous la forme d’un esprit, mais dans tout son être de chair.
La résurrection charnelle met l’accent sur un point majeur du christianisme : le Dieu-fait-homme naît, vit et meurt dans un corps et ressuscite dans ce même corps, donc la chair de l’homme est digne, le corps de l’homme est bon.
Cette pensée n’est pas évidente dans l’Antiquité et elle est restée un sujet de débat. Platon, par exemple, révérait le monde des idées mais critiquait la chair, lieu de toutes les bassesses selon lui. Dans Phèdre, Platon qualifie même le corps de « tombeau ». Le corps serait une prison qui étouffe notre esprit :
« Intègres, simples, immuables et bienheureuses étaient les apparitions dont nous étions comblés […] car, dans une lumière pure, nous étions purs ; nous ne portions pas la marque de ce tombeau que sous le nom de ‘corps’ nous promenons à présent avec nous, attachés à lui comme à sa coquille. »
Une pensée qui ferait du corps un tombeau et un lieu forcément mauvais est à des années lumières des enseignements de l'Évangile.
Les caractéristiques du corps du Ressuscité nous apprennent autre chose : Jésus ressuscite avec ses blessures. Ainsi, il assume tout de l’humanité, même ses souffrances. Il ne revient pas dans un corps d’Apollon ni sous forme d’une beauté idéale qu’il faudrait atteindre.
La beauté selon l’Évangile n’est donc ni une idée ni une apparence : la beauté prend la forme d’un corps réel qui a enduré la souffrance et qui ressuscite avec les stigmates de ses blessures.
Frédéric Ozanam (1813-1853) fut professeur de littérature étrangère à la Sorbonne et essayiste. Il fonda la Société Saint-Vincent-de-Paul pour prendre soin des plus pauvres. Pour lui, c’étaient les pauvres qui permettaient de faire l’expérience tactile de Thomas. Chacun peut en effet avoir le même doute que le disciple. Pour Ozanam, le service des pauvres donne la certitude offerte à Thomas.
« Il semble qu’il faille voir pour aimer et nous ne voyons Dieu que des yeux de la foi et notre foi est si faible ! Mais les hommes, mais les pauvres, nous les voyons des yeux de la chair, ils sont là et nous pouvons mettre le doigt et la main dans leurs plaies et les traces de la couronne d’épines sont visibles sur leur front. Et ici l’incrédulité n’a plus de place possible et nous devrions tomber à leurs pieds et leur dire avec l’apôtre : Tu es Dominus et Deus meus ; vous êtes nos maîtres et nous serons vos serviteurs. »
Cité par Gérard Cholvy, Frédéric Ozanam - l'engagement d'un intellectuel catholique au XIXe siècle, Paris, Artège Éditions, 2012