Pourquoi dit-on que Jésus ressuscite « le troisième jour » après sa mort ? Comment est calculé ce décompte temporel ? Que dit le texte biblique même ?
Est-ce un peu trop tiré par les cheveux ? Comme on aime beaucoup Tintin on s’est dit qu’Hergé, par ailleurs coutumier du fait, avait volontiers fait une allusion à la résurrection en mentionnant le rétablissement de Tintin en trois jours dans L’île Noire. Et comme aujourd'hui on vous parle de la résurrection au troisième jour, ça tombe bien !
Or le soir du sabbat alors que [ça] luisait vers le premier [jour] de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie vinrent, pour voir le sépulcre ... Et voici : il se fit un grand tremblement de terre car un ange du Seigneur descendu du ciel, s'approcha et roula la pierre. Il se tenait assis dessus.
Son aspect était comme l'éclair et son vêtement comme la neige. Par crainte de lui les gardes tremblèrent et devinrent comme morts.
Répondant l’ange dit aux femmes :
— Ne craignez pas, vous car je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié. Il n'est pas ici car il s'est levé, comme il l'avait dit. Venez voir le lieu où il était déposé et vous, partez vite, dites à ses disciples qu'il s'est levé d'entre les morts et voici : il vous précède en Galilée. Là, vous le verrez. Voilà, je vous ai dit.
Et sortant vite du tombeau avec crainte et grande joie, elles coururent [l']annoncer à ses disciples. Et voici : Jésus se présenta devant elles, disant :
— Réjouissez-vous !
Et elles, s’approchant, lui saisirent les pieds et se prosternèrent devant lui.
Alors Jésus leur dit :
— Ne craignez pas, partez, annoncez à mes frères qu’ils aillent en Galilée, là ils me verront.
L’évangile de Matthieu annonce que les femmes se rendent au tombeau « le soir du sabbat ». Pourquoi attendent-elles ce moment-là ? Précisons un peu :
👉 Jésus a été crucifié dans la journée du vendredi. Il a vite fallu lui trouver une sépulture avant la tombée de la nuit. En effet, le jour de grand repos du sabbat commence le vendredi au coucher du soleil et se termine le samedi au coucher du soleil. Dans l’Orient ancien, la journée ne commençait pas à minuit mais au coucher du soleil.
On a donc enseveli Jésus en toute hâte dans l’après-midi du vendredi, parce que pendant le sabbat, il était hors de question de toucher un mort sous peine de ne pouvoir célébrer le sabbat pour cause d'impureté.
Voilà pourquoi les femmes attendent « le soir du sabbat » pour retourner au tombeau. En comptant à partir du jour de la crucifixion, on est donc au début d’une nouvelle journée, le troisième jour.
Le résumé chronologique qu'on vient de vous faire est bien clair et pratique... MAIS le problème, c’est qu’il se fonde seulement sur la première partie de la phrase : « le soir du sabbat »... et qu’on oublie la fin de la phrase, qui complique tout.
Déjà comme ça, c'est difficile :
« Le soir du sabbat alors que [ça] luisait vers le premier [jour] de la semaine »
Mais en plus, en grec, on lit, très littéralement :
« Le soir du sabbat alors que [ça] luisait vers le premier [jour] du sabbat »
On est d’accord, en français, « le soir du sabbat alors que [ça] luisait vers le premier [jour] du sabbat », ça ne veut rien dire et c’est même assez moche. C’est comme si on disait « le dimanche soir alors que le dimanche matin allait commencer ».
C’est sans doute pour cette raison que la majorité des traductions françaises « grand public » de cette phrase la simplifient, pour lui rendre une cohérence chronologique :
Cette traduction simplifiée est possible, car il se trouve que le mot grec « sabbatôn » peut signifier « sabbat » ou « semaine », mais c'est bien le même mot qui est répété au début et à la fin de ce verset.
Chez PRIXM, on n'aime pas prendre les vessies pour des lanternes, donc on se dit que si le texte biblique nous donne une phrase aussi obscure en apparence, c’est qu’il y a un mystère à creuser : soit le texte biblique est débile, soit il est prodigieux. Bon, on est d'accord, il est pro-di-gieux.
Délibérément, l’Évangile intensifie l'obscurité sur ce point pour forcer notre intelligence à chercher le sens. Après avoir donné une mention chronologique claire (le soir du sabbat), le texte brouille les repères temporels.
Ce brouillage signale un mystère divin : il inaugure une nouvelle temporalité à l'intérieur de nos journées.
Et justement, le sabbat est le jour où Dieu lui-même s'est reposé ! Et pour l'humanité, jour de la joie de la communion, temps consacré à Dieu.
Si la résurrection a lieu le soir du sabbat alors que le sabbat va commencer, cela veut dire qu’elle nous fait entrer dans un temps circulaire qui n’a pas de fin : celui du grand Repos de Dieu lui-même. C'est comme si, dès que le dimanche prenait fin, il recommençait aussitôt (avouez que c’est alléchant !). C’est l’avènement du jour sans déclin, de la lumière qui ne s’éteint jamais.
Ces énigmes du texte biblique avaient déjà challengé saint Augustin au IVe siècle. Voilà comment il les interprétait :
« Ce voile d’obscurité a été prévu par la volonté divine pour dompter l’orgueil par le travail et pour éviter à l’intelligence ce sentiment de dégoût qui amène à déprécier tout ce qu’on comprend facilement. »
Saint Augustin d'Hippone