Qui est le véritable auteur de la Bible ? Pourquoi dit-on qu'il s’agit d’une parole humaine inspirée par Dieu ? Que dit le texte de Dei Verbum ?
Sorti en 1995, le titre Sweet Inspiration de Kim Wilde est une ode à l’inspiration :
Sweet inspiration through the nation
With elation for your love
Inspiration, Sweet inspiration
Douce inspiration à travers la nation
Dans l'allégresse de ton amour
Inspiration, douce inspiration
Nous est venue une question un peu provocatrice en écoutant cette mélodie rétro : quelle est la différence entre l’inspiration artistique et l’inspiration divine des auteurs bibliques ?
Ces trois courts versets sont les premiers mots de la lettre de saint Paul adressée aux Galates, région historique d'Anatolie (ce qui correspond actuellement à la région autours d’Ankara en Turquie). Cette lettre a été écrite vers les années 47 à 52 après Jésus-Christ.
Paul, apôtre non de la part des hommes, ni par un homme, mais par Jésus Christ et Dieu le Père qui l’a ressuscité d’entre les morts, ainsi que tous les frères qui sont avec moi, aux Églises de Galatie : à vous grâce et paix de la part de Dieu Père et de notre Seigneur Jésus-Christ.
À quoi le lecteur a-t-il affaire en tenant la Bible en mains et en la lisant ? Dans le texte que vous venez de lire, c’est explicitement indiqué : Paul écrit en son nom. Et en même temps, il s’empresse aussitôt de dire qu’il est « apôtre ».
« Paul, apôtre non de la part des hommes, ni par un homme, mais par Jésus Christ et Dieu le Père qui l’a ressuscité d’entre les morts » (Ga 1,1)
Or, le mot apôtre vient du grec apostolos et signifie « envoyé ». Autrement dit, Paul est effectivement bel et bien l’auteur en personne, mais ce n’est pas juste un auteur de polar qui signe son bouquin en première de couverture.
Comme on le disait la semaine dernière, ces questions théologiques fondamentales ont été abordées dans le texte Dei Verbum issu du Concile Vatican II. On reprend ici un passage-clé :
« Pour faire les Écritures, Dieu a choisi des hommes, qu’il a pris dans l’usage de leurs qualités propres et de leurs capacités. Ainsi il agit en eux et par eux afin qu’ils écrivent, en qualité d’auteurs véritables, tout ce que Lui-même veut et seulement cela. » (Dei Verbum, III, 11)
Le texte de Dei Verbum dit que Dieu parle « dans » et « par » les auteurs humains. Arrêtons-nous un peu sur ces deux petites prépositions. Encore une fois, nous reprenons ici les travaux de Paul Beauchamp que nous citions la semaine dernière dans son magnifique Parler d’Écritures Saintes (un seul conseil : allez lire ce bouquin, c’est franchement de la balle !)
Ce critère de l’intimité permet de souligner la « qualité d’auteur véritable », puisque « Dieu n’enlève rien à la liberté des auteurs ». Les auteurs bibliques humains n'écrivent pas malgré eux.
Autrement dit : les épîtres de Paul resplendissent selon l’éclat particulier qui est celui de la personne de Paul, avec son charisme, son histoire et sa personnalité propres. Et il en est de même pour chaque auteur biblique.
Ce concept d’intimité permet d’amener la transition toute trouvée vers la personne du Saint-Esprit. Car, comme en rend compte l’intimité des auteurs avec Dieu, l’inspiration vient « du-dedans ». Elle n’opère jamais au détriment ou à l’encontre d’un tempérament.
Autrement dit : l’Esprit-Saint, c’est le « et » qui réunit Dieu et l’homme. C’est l’Esprit-Saint qui rend possible la conception paradoxale d’un livre écrit par Dieu et par l’homme.
Pour parler du mystère des Écritures qui sont à la fois œuvre divine et humaine, on en est réduit à trouver des images ou à faire des comparaisons. L’une d’elle est spécialement pertinente : l’analogie entre la parole biblique et la personne du Christ. On s’explique :
Pour bien expliquer ça, on vous laisse lire le texte de Dei Verbum :
« Les mots de Dieu, exprimés dans les langues humaines, se sont faits semblables aux paroles de l’homme, tout comme le Verbe du Père éternel, ayant revêtu la chair de la faiblesse humaine, s’est rendu semblable aux hommes. » (Dei Verbum, III, 13)
Lorsque Jésus agit dans l'évangile, son action est pleinement divine et pleinement humaine. Il en va de même dans l'Écriture, impossible de distinguer ce qui vient de Dieu et ce qui vient de l'homme, inextricablement lié.
Finalement, lire la Bible, c’est reconnaître une Parole qui vient de quelqu’un et qui s’adresse à quelqu’un. Le risque de « geler » les paroles de Dieu, ce serait – par exemple pour le récit de la création au premier chapitre de la Genèse – soutenir que ce texte est un traité scientifique et adopter la lecture créationniste qui soutient qu’effectivement le monde a été créé en 7 jours. Or, à la vérité, le texte de la Genèse est un récit qui parle en énigmes, ce n’est pas un traité scientifique sur l’origine du monde. Sur ce plan, il peut donc y avoir fausseté scientifique, tout en garantissant une vérité sur le plan du salut : ce récit exprime quelque chose de la condition de l’homme face à Dieu.
« Il ne suffit pas d’insister sur l’autorité absolue de l’Écriture pour faire accepter les mots de l’Écriture comme une parole de Dieu. Sur cette voie, il y a un risque, dont on ne s’est pas toujours sorti : c’est de geler les paroles de Dieu sous prétexte de respect pour elles ; c’est d’imaginer qu’on va les rendre plus vraies en les durcissant ; c’est finalement ne plus les traiter comme des paroles mais comme des théorèmes. Une parole s’adresse à quelqu’un. Un théorème ne s’adresse à personne… L’absolu est dans les paroles de l’Écriture, mais c’est à condition qu’elles restent vraiment des paroles. »
Paul Beauchamp (1924-2001), Parler d’Écritures Saintes, Paris, Seuil, 1987, p. 22