Découvrez le récit de la conversion de saint Paul ? Comment Caravage peint-il cette scène ? Pourquoi voit-on un homme qui tombe de cheval ?
Sortie en 1966, la chanson de Georges Brassens intitulée L’épave évoque un certain « chemin de Damas » :
Un certain va-nu-pieds qui passe et me trouve ivre mort.
Croyant tout de bon que j'ai cessé de vivre (vous auriez fait pareil)... s'en prit à mes souliers.
Pauvre homme ! Vu l'état piteux de mes godasses,
je doute qu'il trouve avec, son chemin de Damas...
Et pour comprendre la référence, retour à la source biblique pour cette expression !
Dans ce texte des Actes des Apôtres, saint Paul, sous la plume de Luc, narre lui-même sa conversion sur le chemin de Damas. C'est lui qui parle ici !
Moi, je suis Juif, né à Tarse de Cilicie, mais j’ai été élevé dans cette ville-ci ,et aux pieds de Gamaliel instruit selon le sens exact de la loi de nos pères, zélateur de Dieu comme vous, vous l’êtes tous aujourd’hui.
J’ai persécuté cette voie jusqu’à la mort, liant et mettant en prison hommes et femmes, comme le grand prêtre m’en rend témoignage ainsi que tous les anciens.
Ayant même reçu d’eux des lettres pour les frères, je m’en allais à Damas pour amener enchaînés à Jérusalem [ceux qui se trouvaient là] afin qu’ils soient punis.
Or, il m’arriva, comme j’étais en chemin et que j’approchais de Damas, que tout à coup vers midi, une vive lumière venant du ciel resplendit autour de moi.
Je tombai sur le sol et j’entendis une voix me disant :
— Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?
Et moi, je répondis :
— Qui es-tu, Seigneur ?
Et il me dit :
— Moi, je suis Jésus le Nazôréen, que tu persécutes.
Et ceux qui étaient avec moi virent la lumière, mais ils n’entendirent pas la voix de celui qui me parlait.
Et je dis :
— Que faire, Seigneur ?
Et le Seigneur me dit :
— T'étant levé, va à Damas et là, on te dira tout ce qu’il t’est prescrit de faire.
Et comme je ne voyais pas, à cause de l’éclat de cette lumière, je vins à Damas conduit par la main par ceux qui étaient avec moi.
Or un certain Ananie, homme pieux, selon la loi, à qui tous les Juifs habitant [Damas] rendaient témoignage, étant venu vers moi et s'étant présenté à moi, me dit :
— Saul, mon frère, recouvre la vue.
Et moi au même instant je recouvrai la vue.
Et il dit :
— Le Dieu de nos pères t’a prédestiné à connaître sa volonté, à voir le juste et à entendre la parole de sa bouche, parce que pour lui tu seras témoin auprès de tous les hommes des choses que tu as vues et entendues. Et maintenant pourquoi tarder ? Mets-toi debout, fais-toi baptiser et purifie tes péchés, ayant invoqué son nom.
De retour à Jérusalem et comme je priais dans le temple, il m’arriva d’être en extase.
Et je vis [le Seigneur] qui me disait :
— Hâte-toi et sors promptement de Jérusalem, parce qu’on n’y recevra pas ton témoignage sur moi.
Et moi je dis :
— Seigneur, ils savent eux-mêmes que moi, je faisais mettre en prison et battre dans les synagogues ceux qui croyaient en toi et lorsqu’on répandit le sang d'Étienne, ton témoin, moi, j’étais moi-même présent, j'approuvais et je gardais les vêtements de ceux qui le tuaient.
Et il me dit :
— Va, parce que moi, c’est aux nations lointaines que je t’enverrai.
Comme on le fait parfois, éclairons le texte biblique à partir d’un tableau de génie. Ou comment lire la Bible avec les peintres ! Aujourd'hui, on analyse les deux tableaux du Caravage pour dégager une lecture du récit de la conversion de saint Paul rehaussée par le génie du peintre italien.
Entre 1600 et 1604, Tiberio Cerasi commande un tableau sur le sujet. La première version est d’abord refusée. C’est la seconde version qui est acceptée, avant d’être ensuite reconnue pour ce qu’elle est : un chef-d’œuvre.
Ce tableau fut surnommé à l'époque « La conversion du cheval », par dérision. Et pour cause : la place occupée par l'animal dans la composition générale du tableau a de quoi étonner ! D’ailleurs, d’où vient ce cheval ? Réponse : de la tradition, mais sûrement pas des textes bibliques !
Absent des trois récits de conversion (Ac 9,1-19 ; Ac 22,3-21 ; Ac 26,9-19), jamais mentionné et pourtant très fréquent dans toute l’iconographie, le cheval a en effet une portée symbolique. Tout comme l'épée de Paul, qui symbolise souvent la Parole « tranchante comme un glaive ». Le cheval et l'épée indiquent le statut social de Paul, citoyen romain.
Ce choix de représenter la conversion de saint Paul par une chute de cheval peut également être interprété comme une façon de montrer l’abaissement et la violente descente de son piédestal : en tombant de son cheval, Paul tombe de haut.
L’articulation et la gestuelle de saint Paul ainsi représentées esquissent l’événement, mais selon la vision de l’instant juste après : Le Caravage choisit de peindre Paul déjà à terre.
Le tableau représente ainsi une scène où le mouvement est pris sur le vif, comme un renversement qui survient de façon fulgurante.
Le parti-pris du Caravage consiste à esquisser la puissance de la grâce à partir de ses effets, et selon un prisme très personnel :
De même :
Le Caravage réussit ainsi le prodige d’esquisser une représentation de l’indicible, en insistant sur la dimension personnelle : c’est en voyant Paul ainsi terrassé et abandonné que l’on est conduit à voir la lumière de sa conversion.
Ainsi, Dieu est nulle part dans ce tableau, et pourtant il est partout question de son action, visible à ses effets.
L’histoire du chemin de Damas a inspiré le grand Victor Hugo. Il voit dans Paul un des génies de l'humanité, car sa chute lui permet de se relever en étant transfiguré :
« Paul représente ce prodige à la fois divin et humain, la conversion. Il est celui auquel l’avenir est apparu. Il en reste hagard, et rien n’est superbe comme cette face à jamais étonnée du vaincu de la lumière. Paul, né pharisien, avait été tisseur de poil de chameau pour les tentes et domestique d’un des juges de Jésus-Christ, Gamaliel ; puis les scribes l’avaient élevé, le trouvant féroce. Il était l’homme du passé, il avait gardé les manteaux des jeteurs de pierres, il aspirait à devenir bourreau ; il était en route pour cela ; tout à coup un flot d’aurore sort de l’ombre et le jette à bas de son cheval, et désormais il y aura dans l’histoire du genre humain cette chose admirable, le chemin de Damas. Le chemin de Damas est nécessaire à la marche du progrès. Tomber dans la vérité et se relever homme juste, une chute transfiguration, cela est sublime. C’est l’histoire de saint Paul. À partir de saint Paul, ce sera l’histoire de l’humanité. Le coup de lumière est plus que le coup de foudre. Le progrès se fera par une série d’éblouissements. »
Victor Hugo, William Shakespeare (1864), éd. Dominique Peyrache-Leborgne,GF Littérature, Paris : Flammarion, 2014