Pourquoi Jésus est-il né à Bethléem ? Quelle est la signification théologique du recensement ? Comment Brueghel peint-il cette scène ?
Le célébrissime ténor italien Andrea Bocelli ouvre aujourd'hui notre numéro en faisant résonner sa voix de merveille pour chanter Noël et la naissance de Jésus à Bethléem. Et c’est tout bonnement sublime… Oui, « Venite in Bethlehem », venez à Bethléem !
Ce passage de l’évangile de Luc raconte la naissance de Jésus.
Il advint aussi, en ces jours-là, que sortit un édit de César Auguste [ordonnant] de recenser le monde habité. Ce fut le premier recensement, Quirinius étant gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville.
Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth vers la Judée, vers la ville de David qui s’appelle Bethléem — parce qu’il était de la maison et de la lignée de David — pour se faire recenser avec Marie sa fiancée, laquelle était enceinte.
Or il advint, comme ils étaient là, que furent accomplis les jours où elle devait enfanter. Et elle mit au monde son fils, le premier-né, et elle l'emmaillota et le coucha dans la mangeoire parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle.
Idéal pour une partie de Où est Charlie ?, le célèbre tableau de Brueghel Le Dénombrement de Bethléem réalise un coup de génie : la ville de Bethléem est devenue un village flamand enneigé, grouillant de personnages et d'activités.
Glissés incognitos au milieu du tableau au premier plan, Marie et Joseph sont subtilement représentés. Pour qui regarde bien, on reconnaît Joseph avec son chapeau de paille et sa scie de charpentier. Il marche devant Marie, à dos d’âne, vêtue de bleu.
Les sept petits versets de ce passage de l'évangile de Luc racontant la naissance de Jésus sont très connus, et il y a énormément à en dire. Commençons simplement par un peu de géographie :
Pourquoi donc descendre près de 150 km au Sud tandis que Marie est enceinte ? Réponse : Jésus est né à Bethléem, car c’est en cette ville que ses parents se faisaient recenser.
À partir de ce passage, on s'est posé deux grandes questions :
« Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. » (Lc 2,3)
Ce court verset indique que Joseph se considère comme bethléemite, quel que soit le lieu où il habite effectivement au moment de la Nativité. Même en habitant à Nazareth, Joseph reste attaché à la ville de sa famille, Bethléem. Le passage de l'évangile souligne explicitement le lien qui unit Joseph et Bethléem :
« Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth vers la Judée, vers la ville de David qui s’appelle Bethléem — parce qu’il était de la maison et de la lignée de David — pour se faire recenser avec Marie sa fiancée, laquelle était enceinte. » (Lc 2, 4-5)
Bethléem compte beaucoup dans la géographie biblique. Au-delà de l’attachement de Joseph à sa ville, le lieu de naissance de Jésus n’est pas anodin. D'ailleurs, Bethléem est un village largement mentionné dans l’Ancien Testament :
Plus encore, Bethléem est le lieu où le successeur du roi David, le Messie, devait naître. C'est bien ce qu'annonce le prophète Michée :
« Et toi, Bethléem-Éphrata, petite parmi les clans de Juda, c’est de toi que sort pour moi celui qui doit gouverner Israël. » (Mi 5, 1)
Cette précision permet notamment aux évangélistes de souligner ce que les Chrétiens appellent « l’accomplissement des Écritures », c'est-à-dire la réalisation par Jésus de ce qui est annoncé dans l'Ancien Testament. Autrement dit : préciser que Jésus est né à Bethléem est tout sauf anecdotique...
On a donc compris que Jésus était né à Bethléem au moment d'un recensement. Mais pourquoi le pouvoir romain met-il en place un tel calcul de la population ?
En fait, à l’échelle d’une province romaine, un recensement est une opération courante, par laquelle l’administration anticipe notamment les ajustements du réseau routier, ou encore détermine le niveau des impôts. Rien de particulièrement révolutionnaire donc.
En revanche, le recensement de « toute la terre » est une hyperbole, et dénote clairement la prétention et l’orgueil du pouvoir romain, d'autant que le droit rabbinique l'interdisait.
Finalement, pourquoi s'arrête-t-on sur ce court passage évoquant le recensement et la naissance de Jésus à Bethléem ? Pour une raison très simple : l'évangéliste Luc vient renseigner son lecteur sur deux choses fondamentales – la géographie et la chronologie de l'événement de la Nativité.
Car en tant qu’historien hellénistique rigoureux, saint Luc s’efforce de fournir des repères relatifs pour ancrer son récit dans un contexte bien déterminé. Autrement dit, il situe le Christ dans l'espace et dans le temps des hommes.
En ce sens, l'épisode du recensement a une portée théologique immense. Le raisonnement est le suivant :
La mention du recensement est donc révolutionnaire. Elle signale que Jésus assume pleinement son humanité. C'est le signe éclatant de l'Incarnation : Dieu se fait homme et vient historiquement habiter parmi les hommes, allant jusqu'à être compté et enregistré parmi les vivants de Galilée au premier siècle sous la gouvernance romaine de Quirinius.
Grand théologien du IIIe siècle, Origène (vers 185-254) nous offre ici une parfaite conclusion en méditant le sens théologique de ce recensement :
« Mais à quoi sert ce récit qui raconte à la fois le premier recensement de l'univers entier au temps de l'empereur César Auguste, le voyage de Joseph, accompagné de Marie son épouse enceinte, allant, au milieu de tout le monde, se faire inscrire lui aussi sur les listes du cens et la venue au monde de Jésus, avant la fin du recensement ? Pour qui y regarde de plus près, ces événements sont le signe d'un mystère : il a fallu que le Christ aussi fût recensé dans ce dénombrement de l'univers, parce qu'il voulait être inscrit avec tous pour sanctifier tous les hommes, et être mentionné sur le registre avec le monde entier pour offrir à l'univers de vivre en communion avec lui. »
Origène, Homélies sur Saint Luc (SC 87), éd. & trad. Henri Crouzel, François Fournier et Pierre Périchon, Paris : Cerf, 1962