Qu'est-ce qu'un miracle selon la Bible ? Quel est le premier miracle de Jésus ? Qu’est-ce qu’un « signe » dans l’évangile de Jean ?
Sortie en 2003, la comédie Bruce tout-puissant avec Jim Carrey met en scène un journaliste profitant de pouvoirs divins durant sept jours et enchaînant miracle sur miracle. Dans la bande-annonce, on voit notamment Bruce faire comme Jésus et marcher sur l'eau.
À vrai dire, disons simplement qu'il utilise plutôt ses pouvoirs pour faire joujou. On est donc un peu loin des miracles de Jésus, mais ça a le mérite de poser une très bonne question théologique : au fond, c'est quoi un miracle ? Que racontent les évangiles à ce sujet ?
Le récit des noces de Cana raconte le premier « miracle » de Jésus.
Le troisième jour, il y eut des noces à Cana de Galilée, et la mère de Jésus y était. Jésus aussi fut invité à ces noces avec ses disciples.
Le vin venant à manquer, la mère de Jésus lui dit :
— Ils n’ont pas de vin.
Jésus lui répondit :
— Que me veux-tu, femme ? Mon heure n’est pas encore venue.
Sa mère dit aux servants :
— Tout ce qu’il vous dira, faites-le.
Or, il y avait là six jarres de pierre, destinées aux purifications des Juifs, et contenant chacune deux ou trois mesures.
Jésus leur dit :
— Remplissez d’eau ces jarres.
Ils les remplirent jusqu’au bord.
Il leur dit :
— Puisez maintenant et portez-en au maître du repas.
Ils lui en portèrent.
Lorsque le maître du repas eut goûté l’eau devenue vin – et il ne savait pas d’où il venait, tandis que les servants le savaient, eux qui avaient puisé l’eau – le maître du repas appelle le marié et lui dit :
— Tout homme sert d’abord le bon vin et, quand les gens sont ivres, le moins bon. Toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent !
Tel fut le commencement des signes que fit Jésus à Cana de Galilée et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui.
On a déjà parlé de cet extrait de l’évangile de Jean racontant les noces de Cana lors de numéros précédents. Mais notre axe de lecture d’aujourd’hui est un peu différent. On s’est simplement posé deux grandes questions :
On peut répondre d’emblée : non, les évangiles n’utilisent jamais le mot de « miracle », pas plus que le reste des Écritures d’ailleurs.
En fait, la notion de « miracle » n’est pas du tout une notion biblique. D'ailleurs, la racine du mot n'est issue ni d'un terme hébreu ni d'un terme grec, mais d'un terme latin (miraculum) le plus souvent traduit par merveille ou prodige...
Bref, le terme « miracle » est bien davantage un concept philosophique, qui suppose une idée d’extraordinaire en rupture avec ce que l’on connaît des lois de la nature. Or, en réalité, cette approche rationaliste n’est pas l’enjeu dont se soucient les auteurs bibliques.
Entrons maintenant plus spécifiquement dans le détail de l’évangile de Jean.
Pour être très exact, l’évangéliste Jean ne parle jamais de « miracle », mais il utilise le terme grec de « sêmeion », qui signifie littéralement « signe ».
« Tel fut le commencement des signes que fit Jésus à Cana de Galilée et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. » (Jn 2,11)
Les « signes » johanniques (le terme « johannique » est un adjectif stylé qui désigne ce qui est relatif à l’évangile de Jean ») ont plusieurs fonctions :
Le mot « signe » chez Jean a donc un sens bien particulier. Il désigne une réalité spirituelle et indique une direction vers laquelle tendre pour s’approcher du mystère du Christ, Dieu-fait-homme.
D’ailleurs, l'emploi du mot sêmeion est directement lié aux verbes « croire » ou « suivre » : dès lors que le terme de « signe » survient, le champ sémantique qui lui est associé est celui de la foi. D’où notre première explication : l’approche rationaliste n’est pas l’enjeu qui prévaut lors de ces épisodes. Face aux signes de Jésus, la réaction attendue est de l'ordre de la foi.
Allez, on vous donne une clé pour mieux comprendre l’évangile de Jean : en fait, le terme sêmeion ponctue à plusieurs reprises les chapitres 1 à 12. Il constitue et donne son nom à cette première partie de l'évangile qui couvre l'ensemble du ministère public de Jésus. Les biblistes nomment justement cette section « le livre des signes » (Jn 1-12). La deuxième partie correspond globalement au récit de la Passion et de la Résurrection (Jn 13-21).
Le terme de « signe » intervient d'ailleurs explicitement lors de 6 épisodes que la tradition chrétienne appelle plus communément « les miracles de Jésus » :
« Tel fut le commencement des signes que fit Jésus à Cana de Galilée et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. » (Jn 2,11)
Le signe de Cana n’est que le premier d'une série, comme le confirme un peu plus loin le verset qui conclut un passage de guérison par la formule : « Tel fut le deuxième signe que Jésus fit » (Jn 4,54).
Enfin, en liant d’emblée ce premier signe à la « manifestation de [la] gloire [de Jésus] », l’évangéliste vient indiquer que les « signes » sont les moyens par lesquels Jésus manifeste sa véritable identité :
Dans cette lettre adressée au jeune poète Franz Kappus, Rainer Maria Rilke (1875-1926) parle du courage face à l’inexplicable. Le texte est un peu long mais il est lumineux. Et c’est une manière parfaite pour conclure la question du rapport que l’on peut entretenir avec les signes et miracles posés par Jésus au cours de sa vie :
« Il nous faut accepter notre existence aussi loin qu’elle peut aller ; tout et même l’inouï doit y être possible. C’est au fond le seul courage qu’on exige de nous ; être courageux face à ce que nous pouvons rencontrer de plus insolite, de plus merveilleux, de plus inexplicable. En ce sens, que les hommes aient été lâches a infligé un dommage irréparable à la vie ; les expériences que l’on désigne sous le nom d’« apparitions », tout ce que l’on appelle « le monde des esprits », la mort, toutes ces choses qui nous sont si proches ont été à ce point en butte à une résistance quotidienne qui les a expulsées de la vie que les sens qui nous eussent permis de les appréhender se sont atrophiés. Sans parler du tout de Dieu. Or la peur de l’inexplicable n’a pas appauvri seulement l’existence de l’individu, elle a également restreint les relations entre les hommes, extraites en quelque sorte du fleuve des virtualités infinies pour être placées sur un coin de rive en friche où il ne se passe rien. Ce n’est pas, en effet, la paresse seule qui est responsable du fait que les rapports humains se répètent sans innovation et de manière si indiciblement monotone ; c’est plutôt la crainte d’une quelconque expérience inédite et imprévisible qu’on s’imagine ne pas être de taille à éprouver. Mais seul celui qui est prêt à tout, celui qui n’exclut rien, pas même ce qui est le plus énigmatique, vivra la relation à quelqu’un d’autre comme si elle était quelque chose de vivant, et y jettera même toute son existence. »
Rainer Maria Rilke, Lettre à un jeune poète, 12 août 1904(trad. de Launey), Paris, Gallimard, éd. NRF p. 10