Découvrez un miracle spectaculaire ! Qu'est-ce que la résurrection de Lazare ? Pourquoi est-ce déclencheur de ce qui conduit Jésus à la mort ?
Dans son album Blackstar, sorti deux jours avant sa mort en janvier 2016, David Bowie dévoile un morceau étonnant au nom énigmatique : Lazarus. La première phrase de la chanson donne en fait une clé de lecture pour comprendre le titre et décrypter la référence biblique :
"Look up here, I'm in heaven" (Traduction : « Regarde ici, je suis au paradis »)
Mis en parallèle avec sa propre mort alors imminente tandis qu’il est atteint de cancer, David Bowie fait ici référence à Lazare, le personnage des évangiles que Jésus rappelle à la vie. Revenons donc sur cet épisode aujourd’hui : direction le chapitre 11 de l’évangile de Jean !
Le récit de la résurrection de Lazare est seulement raconté dans l’évangile de Jean. La scène se déroule à Béthanie, quelques jours avant l’entrée de Jésus à Jérusalem – c’est-à-dire quelques jours avant la mort de Jésus sur la croix.
Jésus arriva et trouva Lazare placé dans le sépulcre depuis quatre jours déjà. Or Béthanie était près de Jérusalem, à quinze stades environ. Beaucoup de Juifs étaient venus chez Marthe et Marie pour les consoler au sujet de leur frère. Marthe dit à Jésus :
— Seigneur, si tu avais été ici mon frère ne serait pas mort ; mais, même maintenant, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera.
Jésus lui dit :
— Ton frère ressuscitera.
Marthe lui dit :
— Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection au dernier jour.
Jésus lui dit :
— Moi je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ?
Elle lui dit :
— Oui, Seigneur. Moi j’ai toujours cru que toi, tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui devait venir en ce monde. [...]
Et il dit :
— Où l’avez-vous mis ?
Ils lui dirent :
— Seigneur, viens et vois.
Jésus pleura. [...]
Jésus donc, frémissant de nouveau en lui-même, vint au sépulcre ; c’était une grotte et une pierre avait été posée dessus. Jésus dit :
— Enlevez la pierre.
Marthe, la sœur de celui qui était mort, lui dit :
— Seigneur, il sent déjà, car c’est le quatrième jour.
Jésus lui dit :
— Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ?
Ils enlevèrent donc la pierre et Jésus leva les yeux en haut et dit :
— Père, je te rends grâces de m’avoir exaucé. [...]
Et ayant dit cela, il cria d’une voix forte :
— Lazare viens dehors !
Et le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandes, et son visage était enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit :
— Déliez-le et laissez-le aller.
Alors beaucoup de Juifs qui étaient venus chez Marie et avaient vu ce qu’il avait fait, crurent en lui. Mais quelques-uns d’entre eux allèrent vers les pharisiens et leur dirent ce qu’avait fait Jésus. Grands prêtres et pharisiens, réunirent donc un sanhédrin et ils disaient :
— Que faisons-nous ? Car cet homme fait beaucoup de signes… Si nous le laissons ainsi, tous croiront en lui et les Romains viendront et nous détruiront lieu et nation !
Or l’un d’eux, Caïphe, étant grand prêtre cette année-là, leur dit :
— Vous, vraiment, vous ne savez rien et vous ne réfléchissez pas qu’il est de notre intérêt qu’un seul homme meure à la place du peuple et que ne périsse pas tout le peuple !
Or cela, ce ne fut pas de lui-même qu’il le dit mais comme il était grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation. [...] Depuis ce jour-là, donc, ils complotèrent pour le tuer.
Jésus donc ne circulait plus en public. [...] Approchait alors la Pâque des Juifs et beaucoup du pays montèrent à Jérusalem, avant la Pâque, pour se purifier. [...] Or les grands prêtres et les pharisiens avaient donné un ordre : si quelqu’un savait où il était, qu’il l’indique pour qu’ils l’appréhendent.
Jésus réalise de nombreux miracles au cours de sa vie. Mais celui-ci est particulièrement spectaculaire et retentissant : Jésus fait revivre son ami Lazare, mort et mis au tombeau depuis 4 jours.
Ce miracle survient d'ailleurs dans un contexte explosif. Le Christ enseigne depuis quelques temps en Galilée et vient désormais à Jérusalem. Or, les autorités juives voient d’un mauvais œil la renommée qui entoure ce Jésus. De leur point de vue en effet, la résurrection de Lazare, c’est la provocation de trop commise par Jésus – après la multiplication des pains et les guérisons d’un paralytique puis d’un aveugle... un jour de sabbat.
Dans l'évangile de Jean, cet épisode précipite l’arrestation et le procès du Christ – et ouvre chronologiquement le cycle de la Passion.
Seul l’évangile de Jean rapporte l'épisode du retour à la vie de Lazare à Béthanie. Et celui-ci est de taille : le temps, le lieu et les circonstances lui donnent une importance capitale.
Plus encore : d’après l'évangile de Jean, la liesse populaire provoquée par ce miracle est telle qu’elle fait craindre un embrasement généralisé – et son impitoyable répression par les Romains.
« Alors beaucoup de Juifs qui étaient venus chez Marie et avaient vu ce qu’il avait fait, crurent en lui. Mais quelques-uns d’entre eux allèrent vers les pharisiens et leur dirent ce qu’avait fait Jésus. Grands prêtres et pharisiens, réunirent donc un sanhédrin et ils disaient :
— Que faisons-nous ? Car cet homme fait beaucoup de signes… Si nous le laissons ainsi, tous croiront en lui et les Romains viendront et nous détruiront lieu et nation ! » (Jn 11, 45-48)
Et l’évangile de Jean fait peu de mystère sur l'importance de l’événement du retour à la vie de Lazare, puisqu'il en parle à nouveau au chapitre suivant :
« La foule de ceux qui étaient avec lui lorsqu’il avait appelé Lazare hors du tombeau et qu’il l’avait relevé d’entre les morts, lui rendait témoignage. C’était bien, en effet, parce qu’elle avait appris qu’il avait opéré ce signe qu’elle se portait à sa rencontre » (Jn 12,17-18)
Arrêtons-nous sur trois petits versets.
« Or l’un d’eux, Caïphe, étant grand prêtre cette année-là, leur dit :
— Vous, vraiment, vous ne savez rien et vous ne réfléchissez pas qu’il est de notre intérêt qu’un seul homme meure à la place du peuple et que ne périsse pas tout le peuple !
Or cela, ce ne fut pas de lui-même qu’il le dit mais comme il était grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation. » (Jn 11, 49-51)
La phrase prononcée par Caïphe relève du pur calcul politique. Dans sa bouche, il s’agit seulement d’une cynique réflexion utilitariste façon Machiavel. Et pourtant…
En fait, il s’agit là d’un procédé que les exégètes appellent « l’ironie johannique ». Cela désigne les phrases ayant un doubles sens, que l’évangéliste Jean prend d’ailleurs soin de commenter explicitement. En l’occurrence, ici, il s’agit d’une parole qui, en creux, se révèle paradoxalement prophétique.
Caïphe soutient « qu’il est de l'intérêt [du peuple] qu’un seul homme meure à la place du peuple ». Or, effectivement, c’est vrai : il est de l’intérêt de tous que Jésus meure — pour les croyants, afin de les sauver de la mort et du péché, et d’ouvrir la voie à la résurrection des corps.
Finalement, le miracle du retour à la vie de Lazare est un moment décisif et crucial. L'évangile de Jean le présente comme l’événement qui précipite l’arrestation de Jésus, son procès par les autorités juives et la semaine qui le conduit à la mort sur la croix.
Ironie du sort et signe éclatant de ce qui survient par la suite : c’est par un miracle de retour à la vie que Jésus précipite sa mort – laquelle survient pour rendre possible… sa propre résurrection.
Autrement dit, on peut établir ce mouvement en trois temps où la vie (1) rencontre la mort (2) pour à nouveau faire resplendir la vie (3). On peut reformuler ça ainsi :
Dans ce passage écrit par l’auteur italien Erri De Luca, le narrateur est un sculpteur qui re-travaille une vieille statue représentant le supplice du Christ sur la croix. S'en suit un dialogue avec un rabbin pour interpréter une mystérieuse inscription.
« Je pose ma main au sommet de la croix, je touche quelque chose qui est gravé. J’allume ma lampe frontale, je pense qu’il s’agit de la signature qui manque. Je nettoie la poussière, je vois trois signes que je ne connais pas. Je les recopie sur une feuille. Je vais à la bibliothèque pour voir s’il s’agit de lettres grecques, mais elles ne correspondent pas. Je vais chez le rabbin, il les regarde. "Ura, réveille-toi." Ce n’est pas à moi qu’il le dit. "C’est l’invitation adressée à la divinité dans le psaume 44. C’est sur la statue ?" Je demande ce qu’elle fait là, au sommet de la croix. "Par ce verbe, le sculpteur demande au crucifié de se réveiller. C’est une invitation à la résurrection, qui est la nouveauté du christianisme." »
Erri De Luca, La nature exposée, Paris, Gallimard, 2017