Lors de quel épisode Jésus dit-il « Je suis la résurrection et la vie » ? Par quel moyen Jésus fait-il sortir Lazare de son tombeau ? Que peut-on dire de la voix de Jésus ?
En 2006, le groupe de rock britannique Placebo dévoile un morceau dont le nom est celui d’un personnage biblique important : Lazarus. En effet, Placebo fait référence au passage de l’évangile de Jean qui raconte la résurrection de Lazare. Les premières paroles donnent d’emblée la raison de ce titre.
It's horrid to see you again / Now that you're back from the dead
C’est horrible de te revoir / Maintenant que tu es revenu d'entre les morts
Transposant la référence biblique à un contexte amoureux, le chanteur prend la parole dans la peau de quelqu’un qui désespère de la vie. Tout le contraire de la réaction de Marthe et Marie au moment de revoir leur frère ressuscité par Jésus.
Dans le prolongement de notre numéro de la semaine dernière, nous poursuivons l'analyse de l'évangile dit de « la résurrection de Lazare ». Il s'agit d'un miracle accompli par Jésus dans le village de Béthanie, quelques jours à peine avant son entrée messianique à Jérusalem – et sa mort sur la croix.
Il y avait un malade, un certain Lazare, originaire de Béthanie, le village de Marie et de Marthe sa sœur. [...]
Jésus arriva et trouva [Lazare] placé dans le sépulcre depuis quatre jours déjà. Or Béthanie était près de Jérusalem, à quinze stades environ. Beaucoup de Juifs étaient venus chez Marthe et Marie pour les consoler au sujet de leur frère. [...]
Marthe dit à Jésus :
— Seigneur, si tu avais été ici mon frère ne serait pas mort ; mais, même maintenant, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera.
Jésus lui dit :
— Ton frère ressuscitera.
Marthe lui dit :
— Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection au dernier jour.
Jésus lui dit :
— Moi je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ?
Elle lui dit :
— Oui, Seigneur. Moi j’ai toujours cru que toi, tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui devait venir en ce monde. [...]
Et il dit :
— Où l’avez-vous mis ?
Ils lui dirent :
— Seigneur, viens et vois.
Jésus pleura. [...] Jésus, frémissant de nouveau en lui-même, vint au sépulcre. C’était une grotte et une pierre avait été posée dessus. Jésus dit :
— Enlevez la pierre.
Marthe, la sœur de celui qui était mort, lui dit :
— Seigneur, il sent déjà, car c’est le quatrième jour.
Jésus lui dit :
— Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ?
Ils enlevèrent donc la pierre et Jésus leva les yeux en haut et dit :
— Père, je te rends grâces de m’avoir exaucé. [...]
Et ayant dit cela, il cria d’une voix forte :
— Lazare, viens dehors !
Et le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandes, et son visage était enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit :
— Déliez-le et laissez-le aller.
Alors beaucoup de Juifs qui étaient venus chez Marie et avaient vu ce qu’il avait fait, crurent en lui.
Mais quelques-uns d’entre eux allèrent vers les pharisiens et leur dirent ce qu’avait fait Jésus. Grands prêtres et pharisiens, réunirent donc un sanhédrin et ils disaient :
— Que faisons-nous ? Car cet homme fait beaucoup de signes… Si nous le laissons ainsi, tous croiront en lui et les Romains viendront et nous détruiront lieu et nation !
Or l’un d’eux, Caïphe, étant grand prêtre cette année-là, leur dit :
— Vous, vraiment, vous ne savez rien et vous ne réfléchissez pas qu’il est de notre intérêt qu’un seul homme meure à la place du peuple et que ne périsse pas tout le peuple !
Or cela, ce ne fut pas de lui-même qu’il le dit mais comme il était grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation. [...] Depuis ce jour-là, donc, ils complotèrent pour le tuer.
Dernier miracle – signe ultime – avant l’arrestation et la mort de Jésus, la sortie de Lazare du tombeau annonce celle de Jésus quelques jours plus tard.
Mais ce n'est pas d'abord cette joie de la résurrection qui prime. Dans ce passage de l’évangile, l’expérience de la mort atteint une sorte de limite extrême. Pour le dire crûment : le cadavre empeste, ça sent la mort.
« Jésus, frémissant de nouveau en lui-même, vint au sépulcre. C’était une grotte et une pierre avait été posée dessus. Jésus dit :
— Enlevez la pierre.
Marthe, la sœur de celui qui était mort, lui dit :
— Seigneur, il sent déjà, car c’est le quatrième jour. » (Jn 11, 38-39)
Voici le premier enseignement de ce passage : la résurrection promise par Jésus ne gomme pas les aspects les plus terrifiants de la mort physique tels la corruption des corps ou le deuil des proches.
Bien au contraire, c’est en assumant la réalité douloureuse de la mort que Jésus la transcende, et relève Lazare parmi les vivants.
À bien lire ce passage, le point culminant de la rencontre de cette scène se trouve dans la parole que Jésus vient d'adresser à Marthe : « Je suis la résurrection et la vie » (Jn 11,25).
Par ces mots, Jésus parle comme Dieu tel qu’il se révèle dans l’Ancien Testament. Il reprend en effet la formulation « Je suis », à l’image de la parole divine lors de l’apparition à Moïse au buisson ardent (Ex 3,14).
Mais Jésus ne laisse pas seulement entendre qu’il est Dieu et qu’il est le même Dieu que celui qui s’est révélé à Abraham, à Isaac, à Jacob et à Moïse. Jésus va de la parole aux actes :
Le miracle opéré par Jésus est évidemment spectaculaire. Devant un tel prodige, les témoins sont convoqués, appelés à poser un acte de foi pour y croire vraiment.
Mais ce mystère n’empêche pas de se pencher sur la manière par laquelle Jésus réalise un tel miracle. Comment fait-il ? Réponse : il parle. Dans le silence de la mort, le miracle de la résurrection de Lazare survient comme réponse à une voix qui retentit.
« Il cria d’une voix forte :
— Lazare viens dehors !
Et le mort sortit » (Jn 11, 43-44)
C’est finalement très simple : Jésus l’appelle... et Lazare sort ! Mais cette façon de procéder est tout à fait singulière pour un miracle :
Ce miracle accompli par la parole n’est pas anodin. Déjà au début de son ministère, Jésus avait prophétisé en ce sens, annonçant une résurrection au son de sa voix :
« Elle vient l’heure où ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de l’homme, et ils sortiront » (Jn 5,28)
La résurrection, création nouvelle, survient sur le même mode que la première Création : par l’opération d’une voix puissante. Dieu dit et cela est.
Mais allons plus loin. Si cette voix est capable de se faire entendre par un mort, ce n’est pas seulement parce qu’elle sonne fort, mais aussi parce qu’elle est familière, à l’image de la voix du bon berger que ses brebis reconnaissent (comme le raconte le chapitre précédent).
« Moi, je suis le bon pasteur. Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît et que je connais le Père. Et je dépose ma vie pour mes brebis. J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos. Celles-là aussi, il faut que je les mène. Elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur. » (Jn 10,14-16)
Enfin, Jésus appelle le mort comme l’ami appelle l’ami. Car Jésus l’appelle par son prénom : « Lazare ». Et Lazare reconnaît immédiatement cette voix – sans doute n’a-t-elle jamais cessé de lui être familière, même dans le tombeau.
Pour le croyant, le récit de la résurrection de Lazare repose sur la conviction que l’on se trouve toujours à portée de la voix du Christ, où que l’on se trouve.
Un immense merci à Marie-Reine et Olivier-Thomas, qui ont largement inspiré cet éclairage exceptionnel !
Si vous n'avez pas lu notre autre numéro, La Résurrection de Lazare : le miracle de trop ? on vous conseille d'y aller illico ! Sinon, notre vidéo ci-dessous peut-être une bonne solution pour ceux qui ont dépassé leur quota de lecture quotidien !
La conclusion de notre éclairage insiste sur la puissance de la voix. Et en relisant ces quelques lignes absolument incroyables écrites par le regretté Christian Bobin, nous y avons décelé une ouverture parfaite pour finir en un sommet de poésie. Voici la réflexion qu’il développe à propos de la voix de Saint François d’Assise :
« C’est avec sa voix qu’il séduit. C’est avec sa voix de chair qu’il attire les loups et les hommes qui sont pires que les loups. Mais ce souffle angélique de la chair, cette voix charnelle de l’âme, comment l’entendre, sept siècle après ? Elle s’est éteinte avec le corps qui la portait.
Le chant s’en est allé avec l’oiseau. On a bien gardé quelques plumes, des reliques. La laine d’un vêtement et la coquille d’un crâne. Mais la voix fait défaut, à jamais. Plus d’oiseau, plus de chant.
Reste la lumière où le chant s’égarait, cette lumière inusable de chaque jour dans la vie, la même lumière depuis des siècles, le nom si vieux de cette lumière si jeune, ce nom aveugle dans toutes langues, cette blancheur dans toutes les voix – Dieu. Reste Dieu, vieux soleil à partir de quoi tout peut être réveillé, et l’oiseau, et le chant. »
Christian Bobin, Le Très-Bas, Paris, Gallimard, 1992, p. 105
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