Qui est saint Pierre et comment les évangiles le dépeignent-ils ? En quoi est-il un modèle de foi malgré son reniement ? Pourquoi Pierre se met-il à pleurer après le chant du coq ?
Dans un style rétro-alternatif digne des meilleures ambiances disco, le DJ égyptien Alex R. Costandinos réalise en 1977 une musique en l’honneur de Pierre, appelé ici par son nom entier en anglais « Simon Peter ».
Et justement, tout au long de l’évangile de Matthieu, Pierre tient une place toute particulière.
L’épisode qui suit intervient au cours de la vie publique du Christ, après la marche sur les eaux et juste avant la Transfiguration.
Il dit [à ses disciples] :
— Vous, qui dites-vous que je suis ?
Répondant, Simon-Pierre dit :
— Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.
Répondant, Jésus lui dit :
— Heureux es-tu Simon Bariona, car chair et sang ne t’ont pas révélé [cela], mais mon Père qui est dans les cieux. Et moi je te dis que tu es « Pierre », et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’Hadès ne l’emporteront pas sur elle et je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux.
L’épisode qui suit intervient au moment du procès de Jésus. Saint Pierre renie le Christ en refusant de dire qu’il le connaît.
Quant à Pierre, il était assis au-dehors dans la cour lorsque s’approcha de lui une servante lui disant :
— Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen !
Mais lui nia devant eux tous disant :
— Je ne sais pas ce que tu dis.
Comme il se retirait vers le porche, une autre le vit et dit à ceux qui étaient là :
— Celui-là aussi était avec Jésus le Nazôréen.
Et de nouveau il nia avec serment :
— Je ne connais pas l’homme.
Un peu après, s’approchant, ceux qui se trouvaient là dirent à Pierre :
— Vraiment, toi aussi, tu es des leurs ! D’ailleurs ton langage te rend clair.
Alors il se mit à maudire et à jurer :
— Je ne connais pas cet homme !
Et aussitôt un coq chanta.
Et Pierre se souvint de la parole de Jésus qui lui avait dit : « Avant que le coq n’ait chanté, trois fois tu me renieras ». Et, sortant dehors, il pleura amèrement.
La semaine dernière, on a évoqué la force de ce passage où Jésus s’adresse à Pierre pour lui remettre une charge et une responsabilité particulière.
Aujourd’hui, on s’arrête pour faire un pas en arrière, afin de considérer la place de l’apôtre Pierre dans l’évangile de Matthieu en général.
En effet, les évangiles distinguent particulièrement l'apôtre Pierre. Ainsi, dans l'évangile de Matthieu, la statistique est simple : Pierre est le disciple le plus souvent cité. Plusieurs épisodes sont d'ailleurs centrés sur Pierre, par exemple :
Pierre est le modèle du disciple qui, à l’écoute du maître, se laisse enseigner par lui, tout en s’efforçant de comprendre l’enseignement. Pierre, porte-parole du groupe, est celui qui ose poser les questions à Jésus, comme dans ce passage :
[Jésus] dit :
— Toute plante que n’a pas plantée mon Père céleste sera arrachée. Laissez-les : ils sont aveugles guides d’aveugles. Un aveugle, s’il est guidé par un aveugle, tous deux tombent dans une fosse.
Pierre répondant lui dit :
— Explique-nous cette parabole. (Mt 15, 13-15)
Pierre est aussi le modèle du disciple à la fois attaché au maître et manquant de confiance, à l’image de l’épisode où il se noie après avoir marché sur l’eau.
C’est cet ensemble de traits caractéristiques qui atteint son paroxysme lors de la Passion :
Le reniement de Pierre au moment de la Passion du Christ est un élément clé de son parcours spirituel. Non parce qu’il abandonne Jésus, mais parce qu’il pleure en constatant sa propre trahison.
Un peu après, s’approchant, ceux qui se trouvaient là dirent à Pierre :
— Vraiment, toi aussi, tu es des leurs ! D’ailleurs ton langage te rend clair.
Alors il se mit à maudire et à jurer :
— Je ne connais pas cet homme !
Et aussitôt un coq chanta.
Et Pierre se souvint de la parole de Jésus qui lui avait dit : « Avant que le coq n’ait chanté, trois fois tu me renieras ». Et, sortant dehors, il pleura amèrement. (Mt 26, 73-75)
Prix Nobel de littérature en 1952, François Mauriac psychologise cet épisode pour en proposer une réécriture singulière :
« Le ciel pâlissait. Un coq, de nouveau, chanta. Le jour se levait aussi dans ce pauvre cœur. Tout sortit de la nuit, tout s’éclaira en lui, en même temps que les toits du palais et des maisons, et la cime des oliviers, et les plus hautes palmes. Alors une porte s’ouvrit. Poussé en avant par des valets, un homme apparut, les poings liés, un gibier de potence et de bagne. Il regarda Pierre. Il fit tenir dans ce regard un trésor infini de tendresse et de pardon. L’apôtre contemplait avec stupeur cette face déjà tuméfiée par les coups de poing. Il cacha la sienne dans ses deux mains, et étant sorti, répandit plus de larmes qu’il n’en avait versé depuis qu’il était au monde ». François Mauriac (1885-1970), Vie de Jésus (1936), Paris : Flammarion, 1936, p. 252.
Finalement, nous avons décidé de conclure en deux phrases empruntées au poète contemporain Jean-Pierre Lemaire. Il rappelle combien l’autorité de Pierre ne lui fait jamais oublier son humilité :
Il est le pasteur confirmé du troupeau,
mais il n’a pas besoin qu’un ange le soufflette
pour rester humble.
Il lui suffit d’entendre le coq chaque matin.
Jean-Pierre Lemaire, « Pierre », Le pays derrière les larmes, Paris, Gallimard, 2016, p. 305