Qui est Thomas parmi les douze apôtres ? À quels moments des évangiles est-il cité ? Que peut-on dire de ses interventions ?
Les statistiques administratives sont implacables. D’après l’INSEE, entre 1996 et 2001, le prénom masculin le plus donné en France est… Thomas.
Il n’y a peut-être pas de lien mais cette époque correspond au boom des Daft Punk, emmenés par un certain Thomas Bangalter — à droite sous son casque d'argent.
Viendront quelques années plus tard les hauts-faits d’un certain Thomas Voeckler sur le Tour de France, puis d’un certain Thomas Pesquet envoyé dans l’espace, ou encore d’un certain Thomas Ramos à la baguette du XV de France en cette période de Coupe du monde…
Bref, un prénom qui a traversé les âges depuis Thomas Edison et l’invention de l’ampoule électrique en 1879. Et… vous nous voyez venir, ce prénom d’origine biblique est aussi celui de l’un des douze apôtres. Lisons aujourd’hui un passage où il est question de lui.
Les versets qui suivent sont des paroles que Jésus adresse à ses apôtres au cours de la semaine sainte, juste après le lavement des pieds et juste avant sa Passion et sa mort sur la croix.
Que votre cœur ne se trouble pas, vous qui croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures : sinon, vous aurais-je dit que je vais vous préparer une place ?
Et si je pars, je vous préparerai une place, je reviendrai bientôt vous prendre auprès de moi afin que là où moi je suis, vous soyez aussi. Et là où je vais, vous [le] savez, et le chemin vous [le] savez.
Thomas lui dit :
— Seigneur, nous ne savons pas où tu vas : comment pouvons-nous savoir le chemin ?
Jésus lui dit :
— Moi je suis le chemin, la vérité et la vie. Personne ne vient au Père sinon par moi. Si vous m’aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père. Dès à présent, vous le connaissez et vous l’avez vu.
Ce passage se situe juste après le chapitre racontant le lavement des pieds (Jn 13). L’évangile de Jean opère une sorte d’accélération : le Christ arrive à Jérusalem, et tout se précipite — viendront la trahison de Judas, l’arrestation de Jésus, son supplice et sa mort sur la croix. Bref, ce passage est un discours de Jésus prononcé au cours de la semaine sainte, à quelques jours de « son heure », comme l’indique le premier verset du chapitre 13 :
« Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin. » (Jn 13,1)
En l’occurrence, Jésus annonce à ses disciples sa Passion et sa mort, mais aussi et surtout sa résurrection. Pour les croyants :
Ainsi, par des paroles encore voilées, Jésus annonce déjà à ses disciples sa future résurrection, mais aussi leur résurrection à eux… puisque Jésus dit bien « je reviendrai bientôt vous prendre auprès de moi afin que là où moi je suis, vous soyez aussi » (Jn 14,3).
Mais les apôtres sont complètement largués et ne comprennent pas ce que raconte Jésus — en fait, comme beaucoup de choses, ils ne comprendront que plus tard (c'est-à-dire après la Résurrection) et l’évangéliste Jean met son lecteur dans la confidence, comme dans un double-jeu où les disciples tiennent le rôle de ceux qui n’y comprennent rien tandis que le lecteur a toutes les cartes en mains pour pleinement saisir la teneur de ce qui est raconté. Dans le jargon des biblistes, on parle ainsi de « l’ironie johannique ».
Ce passage est un modèle de scène d’incompréhension. En effet, tandis que Jésus annonce implicitement aux apôtres sa mort et sa résurrection, ceux-ci se trouvent encore à des années-lumière de ce qu’il dit.
L’exemple le plus éloquent est celui de Thomas, qui en reste à un niveau de compréhension très concret et humain — mais hautement philosophique.
« Thomas lui dit : “Seigneur, nous ne savons pas où tu vas : comment pouvons-nous savoir le chemin ?” » (Jn 14,5)
À l’image du paradoxe du Ménon dans le dialogue de Platon, Thomas souligne l’impossibilité logique : comment connaître le chemin si l’on ne sait pas où l’on va ?
Dans le dialogue platonicien, la question se pose en des termes analogues. Socrate et Ménon s’interrogent à propos de la vertu, et voilà le paradoxe qu’ils soulèvent : comment chercher quelque chose si l’on ne sait pas ce que l’on recherche ? Et, si par hasard on trouve ce qu’on cherche, comment reconnaître qu’il s’agit de l’objet recherché, si, là aussi, l’on ne connaît ce que l’on recherche ?
Finalement, de Platon à Thomas, une même veine philosophique se retrouve !
Penchons-nous désormais plus précisément sur cet audacieux personnage. Qui est Thomas ? Déjà, Thomas est l’un des 12 apôtres. Certes, mais à part ça, on sait finalement peu de choses sur lui… De fait, les évangiles ne permettent pas d’en brosser un portrait aussi étoffé que Pierre ou Jean par exemple.
En l’occurrence, l’évangile de Jean évoque Thomas à 3 reprises. À chaque fois, Thomas se trouve devant le mystère de Jésus, et ose une prise de parole audacieuse.
De Thomas, la tradition chrétienne a surtout retenu l’épisode de son « incrédulité » post-Résurrection, sublimé par de nombreux artistes au cours des siècles. Mais il ne s’agit donc pas de la seule scène où Thomas intervient.
À partir de ces trois épisodes, le lecteur décèle ainsi un trait caractéristique chez Thomas : il est celui qui prend la parole avec audace et spontanéité, celui qui ne se contente pas d’écouter Jésus mais l’interroge de but en blanc.
Patron des sceptiques pour certains en vertu de son esprit critique, patron de la science pour d’autres, ou encore patron de la philosophie si l’on retient son goût pour les questions et pour le « doute systématique »… Thomas n’est finalement pas un petit apôtre parmi d’autres, et ses doutes sont aussi des questions, aboutissant à l’un des plus grands actes de foi dans les évangiles :
« Jésus dit à Thomas : “Porte ton doigt ici : voici mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais croyant.”
Thomas lui répondit : “Mon Seigneur et mon Dieu !” » (Jn 20, 27-28)
Finalement, l’itinéraire de Thomas est un bel exemple de tension dans le rapport entre la foi et la raison. Pourtant, selon le philosophe (et mathématicien) Blaise Pascal, la démarche de foi ne peut jamais s’assimiler à une conclusion scientifique appuyée sur une preuve.
« La foi est différente de la preuve : l'une est humaine, l'autre est un don de Dieu »
Blaise Pascal (1623-1662), Pensées, Lafuma 7 ; Sellier 41
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