Le mot « évangile » est-il présent dans l’Ancien Testament ? Qui a popularisé ce terme ? Réponse en une petite exploration à travers l’Ancien et le Nouveau Testament !
En 2016, la chanteuse américaine Alicia Keys sort un morceau et un mini-film intitulé The Gospel (traduction : l’évangile). Avec beaucoup de poésie, les scènes défilent au cœur de New York et racontent la vie et la souffrance dans le ghetto.
Il y a quelques mois, nous avions écrit un numéro sur l’origine et la signification du mot « évangile ». Aujourd’hui, on prolonge notre réflexion en proposant un épisode #2 ! Au menu : une plongée dans la Bible, de l'Ancien au Nouveau Testament.
Pour parler d’évangile, on plonge cette fois… dans l’Ancien Testament. On y découvre un passage où survient un mot hébreu à la postérité bien particulière. Rapide mise en contexte : il s’agit ici d’une parole prononcée par Dieu dans le livre d’Isaïe.
Éveille-toi, éveille-toi, revêts ta force, Sion ! Revêts tes habits les plus magnifiques, Jérusalem, ville sainte, car ils ne viendront plus jamais chez toi, l’incirconcis et l’impur. Secoue ta poussière, lève-toi, Jérusalem captive ! Les chaînes sont tombées de ton cou, fille de Sion captive ! Car ainsi parle YHWH :
— Vous avez été vendus pour rien, vous serez rachetés sans argent.
Car ainsi parle le Seigneur YHWH :
— [...] Qu’ils sont beaux, sur les montagnes, les pieds du messager qui annonce la paix, du messager de bonnes nouvelles qui annonce le salut, qui dit à Sion : « Ton Dieu règne. » C’est la voix de tes guetteurs : ils élèvent la voix, ensemble ils poussent des cris de joie, car ils ont vu de leurs propres yeux YHWH qui revient à Sion. Ensemble poussez des cris, des cris de joie, ruines de Jérusalem ! car YHWH a consolé son peuple, il a racheté Jérusalem. »
Alors oui, on sait, le mot « évangile » n’apparaît pas une seule fois dans ce passage du Livre d’Isaïe dans sa traduction française, pas plus que dans le reste des livres de l’Ancien Testament...
On anticipe donc votre question : pourquoi convoquer cet extrait et en proposer la lecture pour parler de l’évangile ? Excellente question. C’est justement ce qu’on vous explique aujourd’hui.
Revenons tout d'abord à notre passage du Livre d’Isaïe (qui n’utilise pas le mot évangile, puisque c’est un mot grec… et que l'original de ce livre est écrit en hébreu).
« Qu’ils sont beaux, sur les montagnes, les pieds du messager qui annonce la paix, du messager de bonnes nouvelles qui annonce le salut, qui dit à Sion : “Ton Dieu règne” » (Is 52, 7)
L’expression que nous avons soulignée traduit en fait un seul petit mot. Il s’agit du verbe hébreu bśr [bisser]. Dans l'Ancien Testament, ce verbe désigne l’annonce de bonnes nouvelles, en particulier l’annonce d’actions accomplies par Dieu.
Prenons un autre exemple pour mieux comprendre. Dans le texte du Deuxième Livre de Samuel, le mot « bisser » survient pour annoncer la victoire de l’armée d’Israël lors d’une bataille. Autrement dit : le roi David apprend la bonne nouvelle de sa victoire.
« J’apporte une bonne nouvelle au seigneur mon roi ! En effet, YHWH t’a fait justice aujourd’hui de la main de tous ceux qui se sont levés contre toi. » (2S 18, 31)
L'expression « bonne nouvelle » se retrouve donc déjà dans l'Ancien Testament, et suggère une victoire ou une œuvre royale.
Passons désormais dans le Nouveau Testament. Étymologiquement, le mot « évangile » est issu du terme grec eu-angelion et signifie « bonne nouvelle » (le substantif et le verbe grec traduisent le terme hébreu « bisser » dans l'Ancien Testament).
Dans le contexte extra-biblique, le mot euangelion fut utilisé sous l’Empire romain pour annoncer la bonne nouvelle de la naissance de l'Auguste, c'est-à-dire l’arrivée d’un royaume gouverné par un roi qui mettrait fin à toutes les guerres.
Le terme euangelion est donc sémantiquement très chargé. Dans le contexte juif de l’époque, il suggère une attente messianique. Autrement dit, l’utilisation du mot « évangile » renvoie à l’attente du Messie dans le judaïsme.
En ce sens, l’usage de ce mot bien choisi pourrait avoir aussi une finalité polémique (sous la plume de saint Paul notamment) : opposer la « bonne nouvelle » du Christ à celle de l’empereur romain. Autrement dit : l'Évangile de Jésus apporte la paix par le Christ, et cette paix est bien plus profonde que toute pax romana.
Dernière question : d'où vient le mot « évangile » dans le christianisme ? Réponse : historiquement, c'est l'apôtre Paul, premier auteur chrétien, qui utilise ce terme dans le sens que nous connaissons aujourd’hui.
« Comment proclamer sans être d'abord envoyé ? selon le mot de l'Écriture : Qu'ils sont beaux les pieds des messagers de bonnes nouvelles ! » (Rm 10, 15)
Dans ce passage de la Lettre aux Romains, Paul cite le verset du Livre d’Isaïe que nous avons étudié plus haut (Is 52, 7). En français, l'expression « messagers de bonnes nouvelles » traduit un seul mot grec qui vient du verbe eu-angelizo.
Bref, le mot grec évangile apparaît dans le Nouveau Testament... en traduction d'un mot hébreu de l'Ancien Testament. Quand on vous répète que l'Ancien et le Nouveau Testament se font écho sans cesse...
En fait, Paul emploie le terme « euangelion, évangile » avec les connotations qui lui étaient familières dans les textes d’Isaïe. Il parle de « l'Évangile » comme bonne nouvelle de Jésus Christ, et ce terme désigne :
Ce parcours dans les différents livres bibliques nous révèle toute la charge sémantique qui entoure le terme grec « évangile », reprenant lui-même les connotations du terme hébreu « bisser » utilisé dans l’Ancien Testament. Et voilà finalement ce que l'on peut retenir :
Bref, le mot « évangile » est tout sauf un mot simple et anodin... et on prolongera d'ailleurs notre exploration à ce sujet la semaine prochaine !
Selon le romancier contemporain Eric-Emmanuel Schmitt, les évangélistes se montrent de piètres romanciers. Dans l'extrait qui suit, il réagit à propos du personnage de Lazare — qui apparaît, meurt, ressuscite... puis dont l'évangile de Jean ne donne ensuite aucune nouvelle, se concentrant uniquement sur Jésus.
« Les évangélistes se montrent de piètres romanciers : quand un personnage formidable entre dans le récit, ils le laissent tomber. Quel mépris des règles dramatiques ! Ou quelle ignorance... décidément, ils se comportent en écrivains amateurs... »
Éric-Emmanuel Schmitt, Le défi de Jérusalem, Paris, Albin Michel, 2023, p. 106
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