Âgé de 12 ans, Jésus est perdu par ses parents à Jérusalem. Comment réagit sa mère et quels sont les premiers mots de Jésus dans les évangiles ?
Véritable film culte, Maman, j'ai raté l'avion, réalisé par Chris Columbus, a connu un succès phénoménal dans le monde entier lors de sa sortie en 1990. Le récit suit le petit Kevin, accidentellement abandonné par sa famille partie fêter Noël en France. Après moult péripéties, le film s'achève par une scène de réconciliation familiale, alors que Kate, la maman, retrouve finalement son fils sain et sauf à la maison !
Cette histoire de famille est justement très similaire au récit du recouvrement de Jésus au Temple qu'on vous fait découvrir aujourd'hui !
Ce passage de l’évangile de saint Luc fait suite à la naissance de Jésus à Bethléem, ainsi qu’au récit de sa circoncision et de sa présentation au Temple de Jérusalem. Il s’agit de l'un des rares épisodes retraçant l’enfance de Jésus.
Et, quand ils eurent achevé tout ce qui était conforme à la Loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville Nazareth. Cependant l’enfant grandissait, se fortifiait dans l’Esprit, rempli de sagesse et la grâce de Dieu était sur lui.
Et ses parents se rendaient chaque année à Jérusalem, pour la fête de la Pâque. Et quand il eut douze ans comme ils étaient montés à Jérusalem selon la coutume de la fête, une fois les jours écoulés, alors qu’ils s’en retournaient, l’enfant Jésus resta à Jérusalem et Joseph et sa mère ne le savaient pas. Pensant qu’il était dans la caravane, ils firent une journée de chemin et ils le recherchaient parmi leurs parents et leurs connaissances. Et ne l’ayant pas trouvé, ils s’en retournèrent à Jérusalem tout en le recherchant.
Il advint, au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant ; et tous ceux qui l’entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses.
Et, le voyant, ils furent frappés d’étonnement. Et sa mère lui dit :
— Mon enfant, que nous as-tu fait en agissant de la sorte ? Vois, ton père et moi, c’est dans la douleur que nous te cherchions.
Et il leur dit :
— Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être aux affaires de mon Père ?
Et eux ne comprirent pas la parole qu’il leur dit.
Et il descendit avec eux et vint à Nazareth et il leur était soumis. Et sa mère conservait toutes ces paroles en son cœur. Quant à Jésus, il croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes.
Dans les évangiles, seul saint Luc raconte l’enfance de Jésus. Il est donc le seul à raconter cette rapide scène de vie familiale avec Joseph, Marie et Jésus. Il s'agit de l'épisode dit du « recouvrement au Temple » (petit tips de vocabulaire, le terme recouvrement désigne tout simplement l'action de retrouver ce qui était perdu). En l'occurrence, Jésus a douze ans lorsqu’il va au Temple de Jérusalem avec ses parents pour célébrer la Pâque, alias Pessaḥ en hébreu.
Pour rappel, Pessaḥ est l’une des plus grandes fêtes du judaïsme. Elle fait mémoire de l’histoire des Hébreux et de la libération de l’esclavage d’Égypte lors de l’Exode mené par Moïse. Pour qui l'aurait oublié, ce rapide détail rappelle donc l'identité juive de la Sainte Famille.
Pour raconter cet épisode, l’évangéliste Luc nous partage les émotions et réactions de Marie et Joseph. Sur l’ensemble de l’épisode, le récit a la saveur d’un témoignage, qui fait entrer le lecteur dans l’intimité de la Sainte Famille.
La réaction de la Marie et Joseph à l’égard de leur fils Jésus est surprenante : alors qu’ils ont cherché Jésus pendant trois jours, ils ne réagissent pas d’abord sur le ton du reproche, mais avec l’admiration muette d’une mère et d’un père face à la précocité de leur enfant dans un milieu savant.
« Il advint, au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant ; et tous ceux qui l’entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses. Et, le voyant, ils furent frappés d’étonnement. » (Lc 2, 46-48a)
C'est ce sentiment d'étonnement que le peintre allemand Max Liebermann exprime avec génie dans le tableau ci-dessous où les regards des cinq personnages convergent tous vers le petit enfant de douze ans qui s'adresse à eux avec assurance et autorité.
La scène de rencontre entre Jésus et ses parents au Temple de Jérusalem telle que Luc la raconte est un bijou de moment familial.
Après l'admiration et l'étonnement viennent ensuite des reproches ponctués de tendresse. Sans le réprimander directement, Marie adresse à Jésus des remontrances maternelles : elle l'appelle en effet « mon enfant » et lui partage la douleur et l’angoisse de ces trois jours à sa recherche :
« Et sa mère lui dit :
— Mon enfant, que nous as-tu fait en agissant de la sorte ? Vois, ton père et moi, c’est dans la douleur que nous te cherchions. » (Lc 2,48b)
Cette fois-ci, c'est le peintre britannique William Holman Hunt qui réalise un chef-d'œuvre avec le tableau ci-dessous représentant Marie prenant dans ses bras son fils Jésus, sous le regard tendre et encore étonné de Joseph juste derrière eux. La scène ainsi peinte est toute auréolée de lumière et de douceur. Et cette interprétation est finalement assez juste, au regard de ce que raconte le texte même de l'évangile.
Et ce passage est d'autant plus précieux qu'il mentionne la première parole de Jésus conservée et rapportée dans les évangiles. Voici le passage exact :
« Et sa mère lui dit :
— Mon enfant, que nous as-tu fait [en agissant] de la sorte ? Vois, ton père et moi, c’est dans la douleur que nous te cherchions.
Et il leur dit :
— Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être aux affaires de mon Père ? » (Lc 2, 48-49)
Ce récit familial à Jérusalem est l'un des très rares événements où l'on présente Jésus après sa naissance. En effet, les évangiles ne disent presque rien de sa vie d'enfant ou d'adolescent – seul Luc en rapporte quelques épisodes dans le chapitre 2 de son évangile. Par opposition aux années de sa « vie publique », cette période est ainsi appelée « la vie cachée de Jésus », grandissant dans l'intimité de sa famille à Nazareth.
Si Jésus a grandi humblement loin des regards, pourquoi l’évangile précise-t-il que Jésus a douze ans au moment de cet épisode ? Excellente question.
Et voici les réponses que l'on peut apporter. Tout d'abord, dans la tradition juive, 12 ans est l’âge à partir duquel l’enfant commence à fréquenter la maison d’étude (également appelée yeshivah selon la tradition talmudique plus tardive). C'est également l'âge approximatif auquel correspond la fête de Bar-mitzvah qui célèbre l'âge adulte dans la communauté juive.
Traditionnellement, lors de sa Bar-mitzvah, le garçon lit un passage de la Torah puis répond à un certain nombre de questions, afin de s'assurer qu'il connaît un minimum ses fondamentaux. Or, dans cette scène, le modèle est renversé :
Autrement dit : Jésus se présente comme un maître, et non comme un élève.
Prononcée avec solennité dans le Temple, à Jérusalem, les premières paroles de Jésus concernent son rapport au Père. Si l’évangéliste a jugé bon de les retranscrire, c’est parce qu’elles recèlent une interprétation déterminante sur la révélation : Jésus n’est pas seulement un enfant né de Marie à Bethléem, il est le Fils de Dieu et Dieu lui-même.
Ainsi, cet épisode du recouvrement de Jésus au Temple n’est pas simplement une anecdote ni une scène intimiste de l'enfance de Jésus. Si l’épisode a été conservé dans la mémoire des premiers chrétiens et inscrit dans l'évangile de Luc, c’est parce qu’il exprime la consécration totale de Jésus à son Père :
« Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être aux affaires de mon Père ? » (Lc 2, 49)
Autrement dit : Jésus est chez lui auprès du Père et le Temple est comme sa propre maison.
Grand historien contemporain, Alain Corbin a publié il y a quelques années un ouvrage sur « l’histoire du silence ». Il prend l’exemple de saint Joseph et de cet épisode du recouvrement au Temple pour mettre en évidence la spécificité de son effacement humble et discret :
« Le silence d’un homme, Joseph, et celui d’un lieu, Nazareth, sont étroitement liés ; et ils sont absolus. Le père adoptif de Jésus demeure totalement muet dans les Écritures. Il est le patriarche du silence. Inutile de chercher un seul mot de lui dans les quatre évangiles. Lorsque Jésus s’attarde parmi les docteurs, au temple de Jérusalem, Marie et Joseph sont affolés de son absence. Or, c’est la mère et non le père qui lui adresse des reproches. À Bethléem, Joseph se tait. Quand il reçoit en songe la parole de l’ange qui lui ordonne de partir en Égypte, il garde un total silence, puis il obéit sans prononcer un seul mot. La mort de Joseph à Nazareth est silencieuse. En bref, Joseph a répondu par le silence à tout ce qui le concerne. Son silence est le cœur qui écoute, l’intériorité absolue. Cet homme a toute sa vie contemplé Marie et Jésus, et son silence est dépassement de la parole. »
Alain Corbin, Histoire du silence, Paris, éd. Flammarion, coll. Champs, 2018, p. 99
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