Que fêtent les chrétiens tous les ans à Pâques ? Quel est le lien avec Pessah, la Pâque juive ? Jésus célébrait-il la fête de Pâque en son temps ?
Il se trouve que Ridley Scott, l'un de nos réalisateurs préférés — Gladiator avec Russel Crowe suffit à lui seul pour le justifier — a produit un grand péplum sur Moïse et la sortie du peuple Hébreux d’Égypte.
Autant l'avouer d'emblée, c'est très hollywoodien et ça ne laisse pas tout à fait transparaître la profondeur du texte biblique, certes, mais ça plante le décor !
Par l'intermédiaire de Moïse, Dieu demande aux Hébreux, alors esclaves en Égypte, de partager un repas dont la viande doit être de l'agneau.
YHWH* dit à Moïse et à Aaron en terre d’Égypte :
— Ce mois sera pour vous le premier des mois, il sera le premier des mois de l’année. Parlez à toute l’assemblée d’Israël et dites-leur :
Le dixième de ce mois que chacun prenne une bête par famille, une bête par maison. Si le nombre est trop petit pour une bête, on prendra le voisin qui est le plus proche de sa maison, vous compterez selon le nombre de personnes qui peuvent suffire à manger une bête. Ce sera une bête sans tache, un mâle âgé d’un an, vous prendrez soit un agneau, soit un chevreau. Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour de ce mois et toute la multitude de l'assemblée d’Israël l’immolera le soir.
On prendra de son sang et on en mettra sur les deux montants et sur les linteaux des maisons. On en mangera la chair cette nuit-là, rôtie au feu et des azymes avec des herbes amères. [...] Vous le mangerez ainsi : les reins ceints, vous aurez les sandales aux pieds, tenant vos bâtons à la main et vous le mangerez à la hâte. C’est la Pâque.
Je traverserai la terre d’Égypte cette nuit-là et je frapperai tout premier-né en terre d’Égypte, de l'homme jusqu’au troupeau et sur tous les dieux d’Égypte j’exécuterai des jugements — je suis YHWH.
Le sang sera un signe pour vous sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang et je passerai par-dessus vous et il n’y aura chez vous aucune plaie destructrice quand je frapperai la terre d’Égypte.
Ce jour sera pour vous un mémorial et vous le fêterez comme fête pour YHWH. Pour vos générations, une loi perpétuelle : vous la fêterez.
Dans ce texte, Dieu donne l'ordre à son peuple, par l'intermédiaire de Moïse de prendre un repas. Jusque-là rien d'extraordinaire...
Sauf si on se penche sur le contexte : le peuple Hébreux est esclave en Égypte depuis des générations. Dieu décide de le libérer. Il accable alors Pharaon et les Égyptiens de malheurs — les dix plaies d'Égypte — et demande à Moïse de guider son peuple hors du pays.
Ce repas pascal qui précède la sortie d'Égypte s’inscrit donc dans un contexte dramatique :
Avant le repas, les Hébreux doivent verser du sang de l'agneau qu'ils vont partager sur les portes de leurs demeures. Du sang sur les portes ? Oui, Dieu peut ainsi reconnaître les maisons des Hébreux au moment où il vient frapper les Égyptiens.
C’est le sens du mot Pessa'h* qui signifie « sauter au-dessus, passer au-dessus » : Dieu « passe au-dessus » des maisons et permet ainsi aux Hébreux de s’échapper et de passer à travers la Mer Rouge vers la Terre Promise.
Voilà ce que les Juifs fêtent depuis des milliers d’années : le repas autour de l’agneau à la mémoire de l'exode d’Égypte.
Pour info : Pessa'h a donné Pasxa en grec, puis Pascha en latin qui a donné le mot Pâques. C'est seulement après le XVe siècle que la distinction entre les deux fêtes a été marquée par la graphie :
Les disciples approchèrent Jésus, disant :
— Où veux-tu que nous fassions les préparatifs pour que tu manges la Pâque ?
Et lui dit :
— Allez en ville chez un tel et dites-lui : "Le maître dit : Mon temps est proche, c’est chez toi que je vais faire la Pâque avec mes disciples.
Les disciples firent comme le leur avait ordonné Jésus et préparèrent la Pâque. (Mt 26, 17-20)
Comme l’Évangile selon Matthieu le relate, Jésus a célébré cette mémoire de la sortie d’Égypte en faisant préparer le repas de la Pâque par ses disciples. On peut, et même on doit, regarder la Pâques chrétienne à travers le prisme de l'Exode hors d'Égypte.
Les textes des Écritures ont une portée dramatique. Ils décrivent une histoire douloureuse — ici la sortie de l'esclavage du peuple Hébreux, bientôt la croix de Jésus. Selon Paul Ricœur, ils se démarquent ainsi des écrits qui composent l'histoire « officielle », parsemée de triomphes :
« En contraste avec l’histoire officielle, qui célèbre les grands exploits, ou les souverains et les maîtres, ce sera une histoire de la souffrance. Ce sera la prophétie du Serviteur souffrant mise en récit. »
Paul Ricoeur, « Herméneutique de l’idée de révélation » in Écrits et conférences 2, Paris, Seuil, 2010
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