Quel est le lien entre Babel et Babylone dans la Bible ? Que raconte le texte de la Genèse sur l’histoire de la Tour de Babel ? De quoi la ville de Babylone est-elle le symbole ?
Mumford & Sons est un groupe de pop-folk londonien dont on est absolument fan. C’est donc un grand bonheur de parler ici de leur morceau Babel, issu de l’album du même nom. Pour l’anecdote, cet album a d’ailleurs été vainqueur, en 2013, du prestigieux Grammy Award du meilleur album de l’année s’il-vous-plaît !
Et, en l'occurrence, ils font référence à un épisode biblique bien connu, celui de la construction de la Tour de Babel :
Cause I know my weakness, know my voice [...] Like the city that nurtured my greed and my pride / I stretch my arms into the sky / I cry Babel! Babel! Look at me now / Then the walls of my town, they come crumbling down
Parce que je connais ma faiblesse, connais ma voix [...] Comme la ville qui a nourri mon avidité et ma fierté / Je tends mes bras vers le ciel / Je crie Babel ! Babel ! Regardez-moi maintenant / Les murs de ma ville s'écroulent…
Suivant l'épisode du Déluge et de l'arche de Noé, ces quelques versets racontent ce qu'il advient de l'humanité, qui décide de construire Babel, une ville avec une immense tour.
Et toute la terre avait une seule langue et les mêmes paroles. Et il arriva que lorsqu'ils partirent de l’orient, ils trouvèrent une plaine en terre de Sennaar et ils s’y établirent. Et ils dirent — [chaque] homme à son prochain :
— Venez, faisons des briques, et cuisons-les au feu.
Et ils eurent des briques en guise de pierres et du bitume en guise de ciment. Et ils dirent :
— Allez, construisons-nous une ville et une tour dont le sommet soit dans les cieux et faisons-nous un nom afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre.
Et YHWH descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils de l'homme. Et YHWH dit :
— Voici, [il y a] un seul peuple et une seule langue pour tous et ils ont commencé à faire ceci et maintenant rien ne les empêchera d’accomplir leurs projets. Venez, descendons, et confondons là leur langue de sorte que nul n'entende plus la parole de son prochain.
Et YHWH les dispersa de là sur la face de toute la terre et ils cessèrent de construire la ville. C’est pourquoi on l'appela du nom de « Babel » car c’est là que YHWH confondit le langage de toute la terre et c’est de là que YHWH les a dispersés sur la face de toute la terre.
Le récit de la Tour de Babel est l’un des textes les plus connus de la Bible. Il y a deux ans, on avait réalisé un numéro spécial sur le célèbre tableau de Brueghel. Pour ceux qui veulent relire notre analyse sur ce chef-d'œuvre, c'est ici !
Mais aujourd'hui, on revient sur ce passage en se penchant sur une autre question : y a-t-il un lien entre Babel et Babylone ? (spoiler : oui)
Pour répondre à cette question, penchons-nous sur les différentes versions et traductions du texte biblique :
En babylonien, le nom de la ville veut dire « porte des dieux », mais ce passage de la Genèse propose une autre étymologie.
Par jeu de mot et assonance, le mot BaBeL ressemble au verbe hébreu BaLaL qui signifie « confondre », « mélanger » :
« C’est pourquoi on appela [cette ville] du nom de « Babel » car c’est là que YHWH confondit le langage de toute la terre et c’est de là que YHWH les a dispersés sur la face de toute la terre. » (Gn 11,9)
Petit rappel historique : Babel a été une puissante et ancienne cité mésopotamienne, capitale à deux reprises d’un vaste empire couvrant toute une partie du Moyen et du Proche-Orient. Le nom de cette ville est mentionné de nombreuses fois dans la Bible (et notamment dans un psaume magnifique, mis en musique par Boney M dans les années 80 !)
Le nom de Babel apparaît notamment dans la Bible hébraïque lorsque son roi Nabuchodonosor II et ses troupes menacent le petit royaume de Juda. Les Babyloniens s’emparent de Jérusalem par deux fois et déportent ses habitants. Les Judéens exilés à Babel y demeurent pendant plusieurs décennies.
Le nom de Babel apparaît notamment dans la Bible hébraïque lorsque son roi Nabuchodonosor II et ses troupes menacent le petit royaume de Juda. Les Babyloniens s’emparent de Jérusalem par deux fois et déportent ses habitants. Les Judéens exilés à Babel y demeurent pendant plusieurs décennies.
La symbolique de l'orgueil humain et de la déchéance marque cette ville :
Cette symbolique d'une ville où se réunissent et se démultiplient collectivement les maux humains a été abondamment reprise par la culture reggae et rasta pour désigner le pouvoir corrompu. Bob Marley a ainsi écrit un titre intitulé Babylon System en 1979 à ce sujet.
Enfin, cette symbolique se retrouve dans le dernier Livre de la Bible, l'Apocalypse, écrit en grec. Babel-Babylone y est ainsi expressément nommée pour désigner le mal et la corruption :
Et il me transporta dans un désert en esprit et je vis une femme siégeant sur une bête écarlate pleine de noms de blasphème [...]. Et la femme était vêtue de pourpre et d’écarlate dorée, [chargée] de pierres précieuses et de perles, tenant en main une coupe d’or remplie d’abominations et des souillures de sa prostitution, un nom mystérieux écrit au front : « Babylone la grande, la mère des prostitutions et des abominations de la terre. » (Ap 17, 3-5)
Grand philosophe et phénoménologue français du XXe siècle, Jean-Louis Chrétien voit dans le récit de la Tour de Babel une image de l'orgueil de la verticalité et de la hauteur :
« La verticalité ne joue pas un rôle majeur, à ma connaissance, dans les schèmes chrétiens de la maison, du fait que construire un édifice qui s'élèverait de plus en plus haut vers le ciel évoque assurément la tour de Babel, et l'orgueil humain châtié par la confusion des langues et la division de l'humanité d'avec elle-même. Le mouvement ascensionnel est certes décisif, mais son terme ne saurait être architecturalement figuré, encore moins comme l'étage supérieur d'une maison : le sommet ou la “fine pointe” de l'âme pour la tradition mystique est le lieu de l'union à Dieu, et lui-même d'une simplicité sans extension ; et il peut se dire bien souvent “fond”. »
Jean-Louis Chrétien (1952-2019), L'Espace intérieur, Paris : Minuit, 2014, p. 176