Pourquoi Abraham quitte-t-il sa terre natale ? Pourquoi Dieu lui dit-il « quitte ton pays » ? Quelles promesses lui fait-il ?
Chanteur, contrebassiste et compositeur américain, Miles Mosley s’inspire complètement de la figure d’Abraham dans son morceau sobrement intitulé Abraham, sorti en 2017 dans son album Uprising. Voici les premières phrases de sa chanson, pleines d’influences soul et gospel :
You can call me Abraham / Straight from the mountains of Jerusalem /
I got my shield, I got my sword / Forged from Egyptian gold
Tu peux m'appeler Abraham / Directement les montagnes de Jérusalem /
J'ai mon bouclier, j'ai mon épée / Forgé à partir d'or égyptien
Ce passage du Livre de la Genèse se situe juste après la généalogie d’Abraham retracée à la fin du chapitre 11. Il s’agit du tout début du chapitre 12.
Et YHWH dit à Abram :
— Va-t-en de ta terre, de ta famille et de la maison de ton père vers la terre que je te montrerai. Et je ferai de toi une grande nation et je te bénirai et je rendrai grand ton nom, et sois une bénédiction ! Et je bénirai ceux qui te bénissent, et celui qui te maudit je le maudirai et en toi seront bénies l’ensemble des tribus de la terre.
Et Abram s’en alla comme YHWH [le] lui avait dit et Lot s’en alla avec lui.
Abram avait soixante-quinze ans quand il sortit de Harane. Et Abram prit Saraï, sa femme, et Lot, fils de son frère ainsi que l’ensemble des biens et des personnes qu’ils avaient acquis à Harane et ils sortirent pour aller en terre de Canaan.
Et ils vinrent en terre de Canaan. Et Abram passa dans la terre jusqu’au lieu [de] Sichem, jusqu’au chêne de Môreh. Les Cananéens étaient alors dans la terre.
Et YHWH apparut à Abram et dit :
— C’est à ta postérité que je donnerai cette terre.
Et là, Abram construisit un autel à YHWH qui lui était apparu.
« Et YHWH dit à Abram :
— Va-t-en de ta terre, de ta famille et de la maison de ton père vers la terre que je te montrerai. » (Gn 12,1)
Ce court verset est peut-être l’un des plus importants pour résumer toute l’histoire d’Abram (*plus tard renommé Abraham, mais c’est bien la même personne) :
Bref, disons-le sans ambage, Abram se retrouve face à un appel aussi tranchant que radical. Il s’agit en fait d’un acte fondateur : cet acte demande à Abram un mouvement de sortie de soi (ou dirait aussi, d’émancipation, de libération, de croissance).
Et ce mouvement, ce départ vers la future Terre Promise, passe par l’audace et le courage de l’obéissance. Car, pour Abram, il convient alors d’être prêt à de nombreux renoncements : renoncer à son confort, renoncer à sa vie bien tranquille à Ur puis à Harane, renoncer à sa famille.
On vient de souligner la radicalité de l’appel de Dieu adressé à Abram. Et voici qu'au verset suivant, une phrase très simple et très brève précise l’issue de l’histoire : Abram obéit.
« Et Abram s’en alla comme YHWH le lui avait dit » (Gn 12,4)
En fait, le mérite d'Abram est d’avoir écouté et mis en pratique la parole qu’il a entendue. Mesure-t-on le courage de cette obéissance ? Abram part pour une destination qu’il ignore, et quitte un passé connu pour un avenir inconnu.
D’un point de vue plus théologique, il figure ainsi celui qui chemine dans l’obscurité, mais qui a confiance en Dieu. En effet, celui qui l’éclaire après lui avoir parlé, c'est Dieu. En ce sens, ce court passage présente Abraham comme un modèle d’obéissance dans la foi.
La parole que Dieu adresse à Abram ne consiste pas seulement en un appel radical. À bien lire ce passage, on relève que Dieu s'engage le premier et promet 3 choses :
Finalement, ce passage décisif de l'histoire d'Abraham raconte sa vocation et son grand départ (Gn 12, 1-7). Retenons que :
Ce passage du Livre de la Genèse donne à voir l’éclatante élection d’Abraham. Mais une foule de questions surgissent alors : Pourquoi Dieu procède-t-il ainsi ? Pourquoi en passer par un homme particulier ? Est-ce un choix au détriment d’autres personnes ? En soulignant l’importance de la dernière promesse (« en toi seront bénies l’ensemble des tribus de la terre »), voici la sublime réponse du théologien jésuite Paul Beauchamp :
« L’élu, c’est l’unique par excellence, le béni, mais le béni pour tous. “Je bénirai ceux qui te béniront ; je réprouverai ceux qui te maudiront” (Gn 12,3) L’élection d’Abraham n’est ni absurde, ni obscure. Inventons un instant un autre texte : “Dieu dit à tous les hommes : J’aime tous les hommes.” Nous serions dans l’imaginaire et dans l’insignifiant : personne n’entend, ou personne ne bouge. Posons alors ceci : “Dieu dit à quelqu’un : J’aime tous les hommes, dis-le-leur.” Ce n’est pas assez. Nous resterions victimes d’une abstraction : il suffirait aux hommes d’apprendre qu’ils sont aimés, et sur quoi l’envoyé s’appuierait-il pour donner cette information ? En réalité, avec Abraham, Dieu dit à un individu : “Je t’aime en sorte que je te prends en charge et je veux que tous les hommes le sachent et que, le sachant, ils te bénissent !” »
Paul Beauchamp (1925-2001), Cinquante portraits bibliques, Paris, Seuil, 2000, p. 17
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